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Passages – entretien avec Jean-Luc Hervé

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/01/2007

En entreprenant la composition de votre nouvelle œuvre, Flux, vous êtes-vous fixé une direction particulière ?
Le projet initial de la pièce est de capter les flux d’énergie de notre environnement et de les transformer en musique, d’établir une relation entre la salle de concert et la ville. Plus concrètement, Flux commence par une courte partie électroacoustique, réalisée à partir d’un enregistrement de bruits de la circulation qui passent de gauche à droite avec un effet Doppler. Tout le matériau musical est ensuite déduit de ce son initial. J’essaie ainsi de donner l’impression que les murs de la salle de concert n’existent plus, comme si l’auditeur se situait d’abord à l’extérieur, dans un espace ouvert qui ensuite se referme peu à peu et se rapproche du public. Cette idée m’est venue des jardins japonais, qui sont toujours -conçus dans un environnement donné et représentent une transition entre un intérieur et un extérieur.
Avez-vous déjà expérimenté ce -principe ?
Mon premier essai s’est précisément déroulé dans un jardin de Kyoto. Effet-lisière commençait par une diffusion sur des haut-parleurs, dans ce jardin, d’une partie électroacoustique réalisée à partir d’éléments naturels de l’environnement, et se poursuivait par une pièce de musique de chambre pour deux violons et électronique. J’ai également composé des œuvres fondées sur un mouvement inverse, en partant de la concentration de la salle de concert pour s’ouvrir vers l’extérieur, par exemple au musée de la Communication de Berlin. A priori, ce bâtiment n’est pas fait pour le concert, mais son plan au sol, en forme de triangle, suggère un gigantesque haut-parleur. À l’inverse de Flux, ce projet consistait à propager dans la ville les sons d’un concert : après une première partie instrumentale, une seconde partie électroacoustique était diffusée dans un autre lieu de la ville, dans la direction de ce gigantesque haut-parleur, trois cents mètres plus loin.
Quelle est la place de l’électroacoustique dans votre œuvre ?
En fait, ce n’est pas tellement par la musique de Gérard Grisey, dont j’ai été l’élève au Conservatoire de Paris, ou par celle des compositeurs de l’école spectrale, que je me suis intéressé à l’électroacoustique. Au contraire, je trouvais souvent les œuvres mixtes de ces compositeurs plutôt moins réussies que leurs pièces purement instrumentales. Le son électroacoustique est en effet très daté : au moment de la création, on est émerveillé, mais vingt ans après, le son d’un DX7 peut décevoir. Ma position actuelle, je la dois plutôt à Varèse. Désert est vraiment prémonitoire, par sa juxtaposition de l’électroacoustique et de l’orchestre. Varèse crée dans cette œuvre deux espaces distincts, possédant chacun leurs caractéristiques, et deux temps : d’une part, le temps où le compositeur a effectivement enregistré la bande, dans sa cuisine ou son laboratoire – on peut même reconnaître les sons concrets, un peu sales, mal enregistrés, qui nous renvoient maintenant cinquante ans en arrière ; d’autre part, le moment présent de l’interprétation. Aujourd’hui, j’entremêle beaucoup moins que je ne le faisais auparavant les parties électroniques et instrumentales ; je recherche plutôt le passage de l’une à l’autre.
Votre formation auprès de Gérard Grisey a-t-elle eu néanmoins une influence sur votre écriture instrumentale, notamment à travers la notion  de processus ?
Je dirais qu’elle a eu une influence indirecte. Évidemment, je me suis beaucoup formé auprès de la génération des années soixante-dix ou quatre-vingt avec des compositeurs de l’École spectrale, ou d’autres musiciens qui s’appuyaient beaucoup sur l’électroacoustique et l’acoustique. Ce n’est pas une grande originalité. Je ne fais pas abstraction, en effet, des données d’analyse du son, des phénomènes acoustiques, mais je ne parlerais pas d’une influence directe, plutôt d’une incidence par le biais de l’analyse des sons au sens large : pas seulement une analyse physique des sons, mais également une analyse subjective des sons qui nous entourent. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la continuité mais la direction, la trajectoire. Généralement, je ne travaille pas dans le processus continu, mais il y a toujours une direction dans mes œuvres : on part d’un point et on va vers un autre, et cela a certainement à voir avec certaines idées présentes dans la musique de Grisey. Mais on trouve cela aussi chez d’autres compositeurs, par exemple Scriabine. Il y a bien un travail de transformation des éléments dans mes œuvres, mais il n’est pas continu.
Propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n° 31
– janvier-mars 2007