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Entretien avec Martin Matalon

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/04/2004


Plusieurs de vos œuvres portent le nom de « Trame » : à quoi correspond ce titre ?
Je voulais composer une série de formes concertantes, chacune consacrée à un instrument particulier. Il fallait un terme simple, assez neutre, qui puisse convenir à plusieurs œuvres de caractères différents. Le titre générique de « trame » est inspiré d’un poème de J. L. Borges qui nous dévoile la synchronie existant entre tous les éléments qui constituent « l’histoire universelle ». Moins ambitieuses et plus circonscrites, mes Trames évoquent tout simplement le tissage propre à chaque composition, son fil d’Ariane caché ou évident. Ces Trames représentent pour moi une espèce de journal intime. J’ai commencé en 1997, et je pense que je continuerai à les écrire tout au long de ma vie de compositeur. Chaque Trame traitera la problématique qui me préoccupe au moment où je la compose.
La forme concertante m’intéresse, entre autres, parce qu’elle permet de se situer en plein dans la question de la narration. Le soliste possède par lui-même une dimension narrative. Sa présence suscite une focalisation de l’écoute. La narration ne m’intéresse pas en tant que continuité ou linéarité, mais plutôt par la possibilité  de ces entrelacs qu’on peut construire entre la narration et ses digressions, et même son abolition. C’est une question centrale dans toutes les œuvres du cinéaste Luis Buñuel, et mon travail sur ses films, par exemple Un Chien andalou ou L’âge d’or, pour lesquels j’ai composé une musique interprétée au cours de la projection, a véritablement laissé des traces dans mon travail.
Je commence d’ailleurs actuellement une autre série qui s’intitulera précisément « Traces », pour instrument soliste
et électronique en temps réel, qui m’accompagnera elle aussi comme un journal intime et qui contient cette idée de « trace » déposée dans le travail. Il y a quelques années, j’ai écrit la musique d’une œuvre chorégraphique, Rugged Lines, à partir du livre posthume, inachevé, d’Italo Calvino : Six Memos for the Next Millenium. L’écrivain y considérait six vertus, parmi lesquelles l’exactitude, la légèreté, la multiplicité. J’avais réalisé un mouvement pour chacune de ces qualités, et cette idée me poursuit toujours. A chaque œuvre nouvelle, on doit en effet avoir en tête de tels principes : la légèreté, qui implique la densité ; la multiplicité, et les multiples ramifications de l’imagination ; l’exactitude de l’idée, c’est-à-dire la manière dont elle se dessine, se focalise, devient exacte.
A quel thème particulier avez-vous été confronté dans Trame VI ?
L’alto est un instrument que j’affectionne particulièrement et que j’utilise souvent dans un contexte de musique de chambre, par exemple dans Formas de arena, pour flûte, alto et harpe. Dans un rôle concertant, l’alto pose une problématique spécifique liée à sa projection sonore : l’essentiel de son registre se situe dans le médium, qui est aussi, et de loin, le registre prédominant dans un ensemble. Or j’aime les sonorités un peu exubérantes, riches… Dans Trame VI, la question était donc de faire vivre une œuvre d’une vingtaine de minutes avec cette contrainte forte sur la sonorité. Une des solutions que j’ai adoptée a été de spatialiser l’orchestre, non pas dans la salle mais sur la scène, de constituer trois groupes assez éloignés l’un de l’autre et d’« isoler » l’altiste. Celui-ci est cependant entouré par les cordes de l’ensemble qui à leur tour renforcent, imitent, constituent une extension de l’alto, ou tout simplement sa « caisse de résonance ». Une autre réponse à cette problématique a été la construction de sections, de « formes » qui, sans rien perdre de leur richesse, évoluent dans des dynamiques très douces, proches du silence.
Propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n° 23 – avril-juillet 2004