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À propos de Nachtmusik

Éclairage Par Ensemble intercontemporain, le 15/04/2004

Emmanuel Nunes et Christophe Desjardins parlent de Nachtmusik ( 1977-1978 ) pour alto, violoncelle, clarinette basse, cor anglais, trombone, et électronique en direct ad libitum
La totalité de la partition a été rédigée au cours de l’hiver 1977-1978, et aucun détail
des esquisses datant de 1973 n’a été retenu. Le choix de l’utilisation exclusive de huit notes (do, do dièse, ré, ré dièse, fa, fa dièse, si bémol, si) a déterminé d’une manière assez stricte, et presque obstinée, tout le déroulement rythmique de l’œuvre, ainsi que les relations entre les différents tempos et leurs changements. Néanmoins, l’improvisation locale ne cesse d’y jouer un rôle prépondérant.
Christophe Desjardins : Quand j’ai découvert cette partition, j’ai été tout de suite impressionné par son instrumentation singulière et inédite. Situé dans les tessitures medium et graves, l’ensemble réunit plusieurs instruments dont l’histoire musicale a particulièrement exalté le caractère ténébreux et introspectif, comme le cor anglais, le trombone ou l’alto. Par ce choix, les longs ostinatos du début de la pièce prennent immédiatement une coloration sombre et énigmatique, comme une volonté délibérée de tenir encore à distance la brillance diurne.
Emmanuel Nunes : Il existe pendant tout le déroulement un potentiel de tension vivifiant la forme globale : d’une part, les quatre sons manquants (mi, sol, sol dièse, la) qui, par le fait même de leur bannissement, tendent à imposer à tout événement un « espace de l’absence » ; d’autre part, une multiplicité de rapports entre les paramètres issus du potentiel des huit sons, leur « exclusivité » les érigeant en une sorte de « tempérament ». Celui-ci n’avait pas son origine dans un choix initial des huit sons, mais, au contraire, dans la décision de bannir les quatre sons.
C.D. : Jouer Nachtmusik I sans chef présente un double enjeu : cela oblige d’abord à s’approprier en commun la charpente rythmique de l’œuvre, à faire circuler entre
nous la pulsation, dans le déroulement complexe de ses variations. A partir de cette trame, nous avons pu ensuite approfondir l’interprétation, en affinant les relations de jeu entre instruments
: fusion des timbres, modes d’attaques, équilibres dynamiques, dans le but de restituer le plus clairement possible la polyphonie de l’œuvre.
E.N. : La simple idée que cette œuvre serait un jour interprétée comme une œuvre de musique de chambre, c’est-à-dire sans direction, me paraissait une utopie. Certains chefs l’ont dirigée de telle manière que la dimension « chambriste » était pleinement restituée par la direction elle-même. Mais je n’imaginais pas l’écouter un jour sans chef avec cependant tout l’éclat de la profusion, entre les cinq instruments, de rencontres rythmiques très diversifiées qui parcourent toute la partition. L’utopie est devenue réalité depuis que Christophe Desjardins, Pierre Strauch, Alain Billard, Benny Sluchin et Didier Pateau, ont pris la décision d’interpréter seuls Nachtmusik I.
C.D. : Espace de l’absence ou espace d’une autre présence au monde, la nuit induit une perception différente de l’écoulement du temps, mais aussi une perception plus aiguisée des sons et des formes. Qu’Emmanuel Nunes soit ici remercié pour ce que sa musique permet de toucher, cet indicible suspendu quelque part entre énigmatique étrangeté, sensualité et utopie visionnaire.
Emmanuel Nunes et Christophe Desjardins
Extrait d’Accents n° 23 – avril-juillet 2004