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Entretien avec Jens McManama

Entretien Par Remy Louis, le 15/01/2004

 Jens McManama est membre de l’Ensemble intercontemporain depuis 1979. Il a créé de nombreuses œuvres, parmi lesquelles la version pour cor de In Freunschaft de Karlheinz Stockhausen. Abandonnant pour un soir son rôle de cor solo, il présente un spectacle « jeune public », conçu en collaboration avec le dramaturge Eugène Durif.

Le titre de votre concert-spectacle mérite quelque explication : « Litanies, fatrasies, charivari »… Ces mots induisent le sens même de sa progression, de l’ordre au désordre, ou plutôt à la diversité.
C’est exactement cela. Les trois mots nous viennent du Moyen Âge. Ils cernent l’atmosphère musicale et littéraire qu’Eugène Durif et moi-même cherchons à susciter. Ils soulignent également l’articulation en trois parties, destinées à illustrer trois moments de l’évolution de la musique médiévale, tout en la mettant en perspective avec des expressions littéraires et musicales contemporaines. Dans ce répertoire, le rapport entre le verbe et la musique est extrêmement étroit. Nous avons souhaité confronter des textes et des musiques très éloignés dans le temps pour mettre en évidence les contrastes, mais aussi les parallèles, avec la réalité d’aujourd’hui.
Les « litanies » qui ouvrent ce concert s’entendent dans le sens liturgique d’une invocation. N’est-ce pas une entrée en matière très exigeante pour un jeune public ?
Nous avons veillé à bien doser les œuvres choisies, à la fois pour « capter » d’emblée ce public, lui donner la sensation d’effectuer un authentique voyage, et enfin soutenir son intérêt sur la durée ! Mais l’essence spirituelle de la musique médiévale a l’immense mérite d’entraîner très vite son auditeur hors du temps. La première partie devrait créer une atmosphère propice à la naissance d’un autre type de concentration, pour extraire en quelque sorte les auditeurs de leur quotidien.
C’est un pari sur l’effet de surprise induit par la découverte, et sur l’absence d’a priori et l’esprit de fantaisie propres aux enfants. Le défi sera de passer en environ un quart d’heure du chant grégorien aux polyphonies primitives tel que l’organum, au plain-chant, puis à l’émancipation toujours plus grande des voix, et ce jusqu’à la polyphonie la plus complexe. Nous souhaitons offrir un concert spectacle légèrement mis en espace, en mouvement, afin d’éviter la nature quelque peu académique du cérémonial habituel du concert. J’espère qu’on pourra l’apprécier à plusieurs niveaux, sans se poser systématiquement la question du pourquoi et du comment.

Les « fatrasies » sont initialement des sortes de saynètes satiriques. Je suppose que leur présence au cœur de ce triptyque obéit à une volonté de contraste ?
Absolument. Cette deuxième partie, la plus longue, aura une saveur plus populaire, en un sens moins formelle que la précédente. Elle se veut plus divertissante, à la façon de la lyrique des troubadours et des trouvères des XIIe et XIIIe siècles, si variée dans ses formes, qui en sera la colonne vertébrale. À une introduction lente, recueillie, succédera donc une séquence plus dynamique et festive. C’est cette partie, je crois, qui mettra le plus nettement en relation le répertoire moyenâgeux et les expressions théâtrales et musicales contemporaines. Car on peut établir de nombreux parallèles avec certains créateurs d’aujourd’hui. Beaucoup sont à la fois poètes et musiciens, comme l’étaient les troubadours. Et on trouve trace de nombreux signes et techniques moyenâgeux dans la musique contemporaine : les isorythmes de Pérotin se retrouvent chez Peter Maxwell Davies, par exemple. Cette partie prendra donc la forme d’une suite de fragments et d’extraits soigneusement enchaînés, tirés de textes et de musiques déjà existants.

Quels instruments utiliserez-vous ? Devrez-vous recourir à des transcriptions ?
Non. Il s’agit d’un répertoire original. Outre des percussions, plusieurs types de quatuors de cuivres en constituent la matrice principale : trompettes, cors, trombones, tubas, et même saxhorns, beaucoup moins connus. La différence des timbres assumera donc un rôle crucial. Comme nous n’avons pas d’ensemble choral à notre disposition, il appartiendra au timbre très vocal des cuivres d’évoquer le chant grégorien.
Nous n’avons pas encore parlé de la troisième partie. Tel que vous présentez ce concert-spectacle, doit-on l’envisager comme une sorte de synthèse des deux précédentes ?
Pas exactement. Nous souhaitons interroger les mythes, très présents dans les traditions populaires, mais qui les dépassent pour entrer en résonance avec des interrogations universelles, intemporelles, qui sont d’hier comme d’aujourd’hui. Ils sont de natures plus abstraites, mais riches d’une forte signification symbolique. Conclure ce concert spectacle par une proposition de cet ordre permettra à notre avis de laisser très ouverte l’appréciation de notre jeune public. Ce qui nous importe, c’est la volonté de faire écouter et comprendre autrement.

Propos recueillis par Rémy Louis