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Les Académies musicales de Saintes, entretien avec Philippe Herreweghe

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/05/1998

Les solistes de l’Ensemble intercontemporain participent pour la deuxième année aux Académies musicales de Saintes, où des Sequenze de Berio voisinent avec des Cantates de Bach. Philippe Herreweghe, directeur artistique du festival de Saintes, nous en donne sa vision.
 
On peut être surpris de trouver des œuvres « contemporaines » dans un festival de musique « ancienne » : Berio et Bach dans un même concert, à quoi correspond un tel choix ?
A titre personnel, je m’intéresse à toutes les musiques. Il se trou­ve que j’ai été surtout actif dans la musique ancienne – baroque en particulier – et maintenant plus tardive, romantique. Mais j’ai aussi pas mal pratiqué moi-même la musique contemporai­ne, par exemple avec le groupe Musique Oblique. Je ne suis donc pas du tout un « fétichiste » de la musique ancienne, loin de là. La musique d’aujourd’hui m’intéresse beaucoup, même si l’essentiel de mon travail se situe dans d’autres domaines. C’est plutôt l’inverse qui me paraîtrait improbable : ne pas s’intéresser à cette musique-là.
Quant au festival de Saintes, je crois qu’il a besoin d’avoir une identité, comme d’ailleurs tous les festivals. A Saintes, depuis très longtemps, l’identité c’est de faire de la musique ancienne, puisque c’est l’un des lieux, avec France Musique, où on l’a entendue pour la première fois en France. C’est donc une longue tradition. Au départ, nous nous sommes consacrés à la musique ancienne « tous azimuts », c’est-à-dire aussi bien renaissance que baroque. Aujourd’hui, les groupes qui se consacrent à ces divers répertoires se sont diversifiés et nous avons en fait trois volets bien distincts : la musique renaissance est interprétée par des spécialistes, car on trouve de plus en plus de musiciens qui approfondissent ce domaine ; la musique baroque, ce sont surtout pour nous les Cantates de Bach, qui ne sont jamais jouées, particulièrement en France, bien qu’elles constituent une grande partie de son œuvre et soient de petits chefs-d’œuvre pour la plupart d’entre elles. Nous nous efforçons donc, depuis des années, de jouer une Cantate de Bach tous les jours à Saintes. Enfin, nous nous attachons maintenant à la musique du XIXe siècle, mais interprétée également sur instruments d’époque­ ce qui suscite débats et controverses, comme pour la musique baroque il y a vingt ans…
Quant à la musique contemporaine, je trouve essentiel que le public de Saintes vienne écouter la musique elle-­même, et non des stars interprètes. Je pense que l’une des caractéristiques du Festival est d’être un lieu où de vrais mélomanes viennent écouter la musique, sans que le côté mondain ou extra musical soit important, et où ils puissent rencontrer avant tout des répertoires inconnus : certes très souvent en musique ancienne, mais, au-delà, découvrir en fait la musique elle-même. Il me paraît donc important qu’il y ait chaque année un peu de musique contemporaine. Le compo­siteur George Benjamin a été en résidence à Saintes, d’autres compositeurs sont venus, et nous avons en effet depuis l’année dernière une collaboration avec l’Ensemble inter­contemporain, que j’admire beaucoup, et que nous sommes heureux d’accueillir. D’une manière très sym­bolique, nous associerons ces cantates de Bach aux Sequenze de Berio. Je pense que notre public est très ouvert à cela.
 
Que pensez-vous d’une certaine spécialisation des festivals ?
Notre festival est court, puisqu’il dure dix jours. Ensuite, il est très à l’écart des circuits touristique, et c’est une bonne chose : je veux dire par là que ce n’est pas un festival « de consom­mation » pour le grand public. C’est un festival assez pointu, et les gens viennent pour écouter pendant dix jours de la musique. Effectivement, je trouve qu’il vaut mieux un pro­gramme ciblé, parce que le laps de temps est court. Nous avons aussi des cycles qui se prolongent d’une année sur l’autre. Par exemple, en matière de musique renaissance, nous dressons depuis trois ans, une sorte de panorama des Lamentations, qui ont été écrites par de très nombreux compositeurs. De même pour les cantates de Bach : au bout de ces quelques années, nous aurons donné environ quatre-vingt des cent quatre-vingt cantates. Notre public est d’ailleurs très fidèle et revient chaque année, précisément parce que la programmation est assez ciblée. La place de la musique contemporaine est nécessairement limitée, à Saintes. Mais elle est présente néanmoins, et sa place revêt une valeur emblématique.
 
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Propos recueillis par Véronique Brindeau le 2 février 1998
Extrait de Accents n°5 – mai-juin 1998