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Settembre Musica, entretien avec Enzo Restagno

Entretien Par Véronique Brindeau, le 02/07/1997

Le festival de Turin Settembre Musica accueille une nouvelle fois l’Ensemble intercontemporain. Enzo Restagno, directeur artistique du festival depuis treize ans, nous livre ses réflexions en forme de convictions.
 
Cette année, tous les compositeurs d’aujourd’hui mis à l’honneur au cours des différentes éditions de Settembre Musica figurent au programme…
Dès que je me suis occupé de ce festival, j’ai commencé à présenter, pour chaque édition, le portrait d’un compositeur : une suite de concerts monographiques et un volume d’études comportant à la fois des essais et une autobiographie que je rédigeais après une semaine d’entretiens. C’était un dialogue passionnant : mes interlocuteurs se nommaient Nono, Ligeti, Berio, Carter, Reich, Donatoni, Goubaidoulina, etc. L’Ensemble intercontemporain est venu plusieurs fois avec Pierre Boulez, puis ce fut le tour de David Robertson. Les projets se sont suivis dans le temps, et les concerts, l’un après l’autre, ont dressé une espèce de paysage imaginaire de la musique de notre siècle.
 
Les ensembles spécialisés sont-ils nécessaires ?
Il faut du temps pour répéter, et de très bons instrumentistes qui aiment cette musique. Car les compositeurs en sont bien conscients : en général, les musiciens d’orchestre n’aiment pas la musique contemporaine. Ils la subissent. Tandis que les ensembles spécialisés ont fait un choix et y mettent toute leur âme, avec l’ambition de révéler cette musique dans toute sa beauté et toute sa profondeur.
 
Trouve-t-on en Italie de tels ensembles ?
Hélas non ! Pour dresser un portrait de Berio, je dois avoir recours… à l’Ensemble intercontemporain ! Je suis content de le faire, car c’est la qualité de la musique qui m’intéresse – et parce que je suis plutôt internationaliste dans ce domaine. Nous avons de très bons compositeurs et interprètes, mais la qualité de la diffusion ne correspond pas à la qualité de la création : il nous manque la maturité politique nécessaire.
 
Avez-vous des projets pour Settembre Musica au « Lingoto » ?
Le Lingoto est une ancienne usine Fiat, reconvertie par Renzo Piano en un grand centre culturel polyvalent, avec un très bel auditorium de 2000 places dont l’acoustique est excellente. Le lieu attire surtout les orchestres symphoniques, mais je rêve d’y organiser de grands rendez-vous avec l’électronique, le multimédia, l’espace. Aujourd’hui, il me semble qu’on perde un peu le goût de l’aventure liée à la technologie : en l’apprivoisant, on l’a privée de romanesque. Je ne suis pas hostile aux musiques d’aujourd’hui qui nous proposent à nouveau certains types d’écriture, mais je ne voudrais pas voir se perdre cet esprit qui a été l’orgueil de notre jeunesse et auquel je reste attaché.
 
D’autres utopies vous motivent-elles ?
Cette année, nous réalisons un projet avec Simha Arom dans le domaine de l’ethnomusicologie : deux jours consacrés à la musique des Pygmées, qui trouvent une résonance extraordinaire dans la musique contemporaine – celle de Berio ou de Ligeti. Le programme comportera aussi la Messe de Notre Dame, de Guillaume de Machaut, car l’organisation de la polyphonie des Pygmées n’est pas si éloignée de l’isorythmie de l’Ars nova française du XIVe siècle. Nous voudrions développer cette idée d’un langage musical qui dépasse non seulement les frontières mais les époques historiques, et remonter à une couche beaucoup plus profonde : l’acte même, anthropologique, de faire de la musique, qui permet de relier les expériences de notre polyphonie occidentale et celle des Pygmées d’Afrique ou des tambourinaires du Ghana qui ont marqué Steve Reich.
J’aime la musique qui pose des problèmes. Car là réside la supériorité de la musique : nous les poser d’une façon pénétrante, profonde, qui touche toutes les facettes de notre être. C’est une extraordinaire expérience de connaissance, et je voudrais multiplier les occasions de stimulation dans ce sens.
 
 
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Propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n°3 – juillet 97-janvier 1998