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À l’intérieur d’Intérieur. Entretien avec Silvia Costa, metteuse en scène.

Entretien Par Axelle Corty, le 30/09/2021

Dans ses mises en scène, Silvia Costa, qui est aussi comédienne et plasticienne, utilise l’espace, la lumière, les mots, les corps et la musique comme un seul matériau à modeler. Elle livre une interprétation d’Intérieur, pièce de Maurice Maeterlinck, sur une création musicale du compositeur catalan Joan Magrané Figuera, qui sera présentée, en création mondiale, les 22 et 23 octobre au Théâtre du Châtelet.

 

Silvia, connaissiez-vous la pièce de Maurice Maeterlinck avant cette collaboration ?
De nom uniquement. En la lisant, je l’ai trouvée très originale. Elle traite de la compassion, un thème rarement abordé, avec pour argument l’annonce de la mort d’une enfant à sa famille. C’est une pièce qui distille beaucoup de mystères, avec des personnages archétypaux, comme l’ancien et l’étranger, qu’on rencontre aussi dans le théâtre grec. Maeterlinck tisse ces éléments dans une simplicité totale. J’ai voulu recréer cette construction avec les moyens à ma disposition : un orchestre, une composition musicale, un récitant pour lequel la pièce a été réécrite et simplifiée dans la version de Joan Magrané Figuera, et une danseuse, le tout sur le grand espace scénique du Châtelet.

Que vous a inspiré la musique de Joan Magrané Figuera ?
J’y trouve une dimension rituelle qui me plaît et j’y reconnais la dimension éthérée, symboliste, du théâtre de Maeterlinck. La composition contemporaine relève le défi de faire de la musique une matière non figée. Cela peut être un magma dans lequel on s’engouffre, mais on y découvre parfois quelque chose de sculpté, de délicat, de précis. C’est le cas dans celle de Joan. Elle accompagne, elle tire un fil.

Votre vision de plasticienne affleure dans vos propos. Êtes-vous synesthète ?
Oui. La musique m’évoque des images, la lumière des sensations. C’est très utile quand on travaille dans un projet tel que celui-ci, pour traduire un élément manquant en sollicitant d’autres sens. Il faut entrer dans la tête du compositeur, se nourrir des mots du récitant et trouver des solutions pour créer des images ou des structures assez ouvertes, pour que fonctionne la première rencontre sur scène de nos deux univers.

 

Votre première attention s’est portée vers la délimitation des espaces scéniques. Pourquoi ?
La pièce traite des limites, entre l’intérieur et l’extérieur, au travers des fenêtres par lesquelles on observe la famille avant de lui annoncer la nouvelle fatidique, mais aussi des limites des corps face à la mort. Il est aussi question de protéger la famille contre la douleur. Il faut selon moi des espaces précis pour aborder de telles thématiques. Joan Magrané Figuera a écrit sa musique en prévoyant le déplacement d’un groupe de musiciens sur scène. J’utilise cet aspect processionnel. Je joue avec la musique et la déambulation pour imaginer une traduction de ces limites, en donnant au public des sensations de proximité puis d’éloignement.

 

Comment utilisez-vous la lumière ?
C’est elle qui trace les espaces. Lumière et musique sont les parois d’une chambre mentale de la mémoire et des sentiments. Matteo Bambi, qui assure la régie lumière, m’accompagne dans la création. Notre projet joue à la fois sur une dimension architecturale et sur la création d’ambiances, avec l’ombre portée des fenêtres, visible au sol, et des effets d’ambiance nocturne, d’eau, de brouillard, qu’il fallait retranscrire car ils sont liés à l’équilibre entre le visible et l’invisible et participent à l’ouverture poétique du langage. Joan les a d’ailleurs pris en compte dans sa composition.

Que représente la danseuse ?
Elle sédimente toute la complexité de l’œuvre. Elle représente bien sûr la jeune fille retrouvée morte, son souvenir, mais aussi son fantôme. Je cherche à travers elle des images subconscientes, sur ce que veut dire la vie, le passage de la vie à la mort. Mon travail est très symbolique en général, et parfois très proche de la chorégraphie. Mon parcours d’autodidacte, passée par l’étude des Beaux-Arts à Venise, puis l’expérience de la scène, où je joue toujours, me rend sans doute sensible au geste.

Pendant dix ans, vous avez collaboré à toutes les productions théâtrales et lyriques du metteur en scène Romeo Castellucci. Quelle empreinte cela a-t-il laissé dans votre création ?
J’ai surtout appris qu’elle n’a rien à voir avec l’inspiration, que c’est un travail quotidien, qu’un artiste doit toujours tout mettre en crise. Il me reste aussi la conviction qu’il faut être très connecté à sa propre imagination. La mienne est très poétique, c’est une recherche d’idéal. Intérieur m’a bouleversée par son humanité compatissante, si rare et pourtant si nécessaire. Il ne faut jamais oublier l’idéal.

Photo © Alan Chies