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Yeree Suh : « Dans les mélodies de Boulez, je retrouve Debussy ».

Entretien By Suzanne Gervais, le 14/04/2023

La soprano coréenne retrouvera l’Ensemble intercontemporain le dimanche 16 avril pour interpréter deux cycles vocaux faisant la part belle à la poésie : l’un, d’Alban Berg, l’autre, de Pierre Boulez.  

Yeree, votre compagnonnage avec l’Ensemble intercontemporain remonte à 2009. Quel rapport entretenez-vous avec ces musiciens ?
Notre travail ensemble s’enrichit naturellement au fil des années : c’est toujours un plaisir de retrouver ces musiciens absolument passionnés et à l’ouverture d’esprit très précieuse. Eux et leur directeur musical, Matthias Pintscher, ont une oreille et une manière très particulière de travailler et de jouer avec les chanteurs. Ce n’est pas le cas de tous les ensembles. Comment dire… J’ai l’impression que tout le monde dans l’ensemble « chante » avec moi, qu’il n’y a plus de frontière entre chanteuse et instrumentistes : nous sommes musiciens, chanteurs ensemble. C’est une expérience merveilleuse.

Vous chantez, dans ce programme, le fameux cycle des Altenberg Lieder d’Alban Berg, le premier travail du compositeur avec orchestre.
Il a écrit ce cycle en 1911-1912, juste avant la guerre. C’est fantastique de voir comme sa façon de traiter la voix se développe depuis les toutes premières chansons qu’il a composées pour voix et piano, qui portent encore en elles quelque chose de très romantique, jusqu’aux lieder plus tardifs et expérimentaux où il prend de plus en plus de libertés avec la tonalité. Les Altenberg Lieder font la part belle au pouvoir de l’imagination, elles sont à interpréter molto espressivo. Les intervalles que vous devez chanter sont beaucoup plus difficiles et le contexte harmonique est bien plus complexe que dans un lied de Brahms ou de Schubert. Mais ma mission, en tant qu’interprète, est de m’assurer que je traite chaque ligne, chaque intervalle avec la même intégrité et le même sérieux que je le ferais avec des compositeurs plus classiques.

Le programme comprend aussi les Improvisations sur Mallarmé I & II de Pierre Boulez. Quelles sont vos affinités avec la tradition de la mélodie et la langue française ?
Pendant mes années de formation, j’ai étudié la musique baroque ancienne et j’ai chanté plusieurs fois de la musique baroque française. Là, déjà, le texte est essentiel, la juste prononciation aussi. Puis, au cours de ma carrière, j’ai chanté de nombreuses mélodies françaises : Fauré, Saint-Saëns, Debussy… Il y a toujours une lumière intense, particulière, dans les mots et dans le son. La langue française est très chantante, très “cantabile”. Cette spécificité de votre langue rend les compositions vocales françaises uniques. Dans les mélodies de Boulez, je ressens toujours ce lien avec Debussy, que je retrouve, au détour d’une couleur. Pour revenir au parallèle avec la musique baroque, j’ai un sentiment très similaire avec la musique de François Couperin, pourtant plus loin de nous. Bien que cette musique soit beaucoup plus difficile à chanter, vous retrouvez une ambiance propre à la grande tradition française.

Photos  © EIC