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“Altenberg-Lieder” d’Alban Berg.

Éclairage By Angèle Leroy, le 22/03/2023


Le 16 avril, à la Philharmonie de Paris, deux œuvres de Pierre Boulez seront mises en perspective avec celles de deux figures de proue de la Seconde école de Vienne : Arnold Schönberg et Alban Berg. De ce dernier on entendra Altenberg-Lieder, pour mezzo-soprano et orchestre, créée au Musikverein de Vienne le 31 mars 1913. Une œuvre de jeunesse particulièrement chahutée durant sa première exécution sous la baguette de Schönberg lui-même. 

Peu d’œuvres connurent une création aussi chahutée que les Altenberg-Lieder du jeune Alban Berg ; mais l’année 1913 semble propice aux scandales musicaux : à Paris, ce sera le cas de la première représentation du Sacre du printemps, deux mois après ce « Watschenkonzert » (d’après le mot « Watsche », qui signifie « baffe », en dialecte viennois) autrichien. Berg devait en partager l’affiche avec Webern, Schönberg, Zemlinsky et Mahler ; mais l’indignation fut telle que les Altenberg-Lieder se virent noyés sous les vociférations, tandis que les Kindertotenlieder de Mahler ne furent finalement pas interprétés, la soirée s’étant transformée en une véritable bataille rangée. Si, par la suite, Le Sacre connut très rapidement un « succès de scandale », les Altenberg-Lieder se virent au contraire relégués dans une ombre protectrice par leur compositeur échaudé. Première œuvre composée après l’achèvement de la formation auprès de Schönberg, le mentor et ami parti pour Berlin en 1911, cet opus expressionniste se tourne à nouveau vers l’un des médiums les plus chers au jeune homme, la voix (qu’avaient déjà honorée quelque quatre-vingts pièces pour chant et piano non éditées ainsi que les Vier Lieder op. 2), mais en lui adjoignant pour la première fois les ressources d’un orchestre. Et quel orchestre ! Gigantesque par ses proportions (vents par trois ou quatre, section percussive étendue, glockenspiel, xylophone, harpe, célesta et piano), extraordinairement fin par son écriture qui privilégie la transparence des timbres, celui-ci se fait l’écrin chatoyant de cinq miniatures dépassant parfois de bien peu la dizaine de mesures ou la minute.


Les poèmes en prose très fin de siècle de Peter Altenberg, ami de Gustav Klimt, Karl Kraus ou Arthur Schnitzler, inspirés par des photos de cartes postales, y sont réorganisés dans une savante économie qui combine à la fois diversité – chaque lied étant fortement caractérisé par une écriture particulière (tels les ostinatos du premier, les accords du troisième ou la passacaille des douze sons dans le dernier) – et équilibre. Ainsi, l’ensemble est consolidé par deux mouvements extrêmes un peu plus développés qui sont aussi l’occasion d’entendre l’orchestre en tutti, tandis que la pièce centrale est elle-même construite en arche, autour d’un fantomatique roulement de tam-tam, qui constitue le pivot « en creux » de l’œuvre : « tout est soudain évanoui ». Coup d’essai en même temps que coup de maître, l’Opus 4 est également l’une des dernières œuvres de Berg à relever du domaine du lied ; sa veine lyrique se concentrera par la suite du côté opératique, avec Wozzeck et l’inachevé Lulu, qui occupèrent chacun le compositeur durant de longues années.

Photo DR