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« Kraft » de Magnus Lindberg.

Éclairage By Samuel Favre, le 09/02/2024

Le plaisir du timbre, la liberté dans le jeu, c’est ainsi que Samuel Favre décrit sa façon de jouer Kraft (« force » en suédois) du compositeur finlandais Magnus Lindberg, qu’il interprètera avec quatre autres solistes le 15 février à la Philharmonie de Paris. Que la force soit avec eux !

Ce sera la première fois que je jouerai Kraft de Magnus Lindberg et j’avoue que, jusqu’ici, je ne connaissais pas la pièce. Sa découverte a été une expérience assez déconcertante, car je n’y ai pas retrouvé le Lindberg que je connaissais, ou croyais connaitre. J’ai beaucoup joué sa musique, mais principalement celle des deux dernières décennies (jusqu’à Related Rocks pour deux pianos, deux percussions et électronique, qui date de 1997), mais Kraft, même si j’y reconnais toujours le sens du grandiose de Lindberg, c’est tout autre chose !

C’est complètement débridé — échevelé, même. On a le sentiment d’une succession d’idées toutes plus folles les unes que les autres, qui s’enchaînent sans même qu’on ait le temps de les considérer. Il n’y a là aucune retenue, ni dans la débauche d’énergie (en suédois ou en allemand, « Kraft » signifie force ou pouvoir), ni dans l’instrumentarium, ni dans l’exploration des sonorités et modes de jeu.

De ce point de vue là, c’est très différent aussi, à la fois de ce qu’on peut entendre chez ses aînés (même chez un Stockhausen ou un Berio dans Circles) et ces derniers temps : les compositeurs d’aujourd’hui montre une maitrise admirable des assemblages de sonorités, mais dans Kraft il ne s’agit pas du tout de cela.

Kraft, c’est le plaisir du timbre en même temps qu’une grande liberté quant à la façon de jouer. On a le sentiment que Lindberg s’est lancé à corps perdu dans un océan de timbres et qu’il ne s’est mis absolument aucune contrainte. La quantité de modes de jeu explorés est impressionnante : on utilise la voix, on souffle dans de l’eau, on frappe sur des objets trouvés (comme des blocs métalliques ou un radiateur, sur lequel je n’ai pourtant que deux gestes à faire)…

Ce n’est pas nécessairement une pièce très virtuose. Ma partie comprend environ trois pages redoutables mais, pour le reste, les solistes ont un rôle soit de déclencheur, soit de coloriste. Au reste, la partition donne peu d’indications sur la manière de faire sonner tout ça : Lindberg accorde une large place à la spontanéité et à l’énergie propre des interprètes.

Photo (de haut en bas) : © Franck Ferville / © EIC / © Anne-Elise Grosbois