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Intérieur/extérieur. Entretien avec Lisa Streich, compositrice.

Entretien By Michèle Tosi, le 30/08/2022


Un vent de fraicheur souffle sur la scène musicale contemporaine et ce vent vient du nord : l’Ensemble intercontemporain joue pour la première fois la jeune compositrice suédoise Lisa Streich. Ophélia, sa nouvelle et surprenante œuvre pour ensemble et électronique qui sera créée le 14 septembre à la Philharmonie de Paris, est le fruit d’une démarche singulière, dont elle nous dévoile en avant-première les ressorts mécaniques inattendus.

Lisa, c’est la première fois que vous êtes jouée par l’Ensemble intercontemporain : avez-vous prévu des dispositions particulières concernant la formation instrumentale de votre composition ?
Cette nouvelle œuvre est écrite pour grand ensemble et deux pianos : l’un des deux est motorisé et doté de microphones placés à l’intérieur de l’instrument. Le but est de donner l’illusion à l’auditeur qu’il est à l’intérieur du piano. Nous avons donc deux perspectives d’écoute – l’une venant de l’extérieur et l’autre de l’intérieur. La formation inclut également une harpe accordée en quarts de ton.

Plusieurs de vos pièces incluent des instruments motorisés ; le piano mais aussi le violoncelle ou l’ensemble. En quoi consiste cette motorisation et comment vous en est venue l’idée ?
Ma première œuvre motorisée, Pieta (photo ci-dessous), écrite au terme de mon année de Cursus à l’Ircam, est pour violoncelle seul, plusieurs moteurs étant collés sur le dessus de sa caisse, derrière le chevalet et au niveau du cordier, qu’ils frappent, grattent ou frottent. S’agissant du piano, ils sont fixés à l’intérieur de la mécanique du clavier grâce à un système spécialement conçu pour ne pas abimer l’instrument. Ils sont munis de bandes de papier qui leur permettent, pendant que le pianiste appuie silencieusement sur les touches, de pincer les cordes à l’intérieur du piano. Les moteurs construits par l’Ircam pourront également fonctionner lorsque le piano est fermé.


L’idée est venue d’une expérience d’écoute faite à la Fontaine Stravinsky de Paris : c’était un matin d’hiver glacial, en novembre 2011, sur la place encore déserte. D’habitude les machines de la fontaine sont éteintes lorsque la température descend très bas et pourtant elles fonctionnaient, émettant de très jolis chants plaintifs. Je me suis demandée si j’arriverais à écrire quelque chose d’aussi beau, d’aussi simple et authentique. J’ai imaginé de nombreuses combinaisons de voix et d’instruments sans jamais y parvenir. Il manquait quelque chose d’essentiel. L’essence de la beauté, ce matin-là, était née de l’action d’une machine, chose totalement étrangère à ce que l’on peut attendre d’elle … qu’elle puisse produire quelque chose de sensible et d’expressif… d’où l’idée d’utiliser des moteurs !

Votre nouvelle composition fait appel à l’informatique musicale Ircam. Comment est conçue la partie électronique – traitement en direct ou sons déjà fixés – et quelle place a-t-elle dans l’écriture musicale ?
Il s’agit d’une partie électronique live dans le sens où le piano motorisé est amplifié et diffusé dans la salle. De plus, je travaille avec différentes résonances provenant d’accords spectraux chantés par des chœurs amateurs. Tout cela sera très subtil cependant. Et même si j’ai une longue expérience avec les instruments motorisés, l’Ircam a développé des moteurs à un niveau de précision encore inédit. On peut se poser la question de savoir si c’est un mieux ou un moins bien… J’espère du moins qu’il subsistera toujours un sentiment d’imperfection entre l’humain et la machine.

Vous avez parfois recours aux citations dans vos œuvres. Quel rapport entretenez-vous avec la musique du passé, avec l’histoire de la musique en général ?
 J’envisage la composition comme une conversation avec la musique. L’héritage ancien est en quelque sorte le point de départ, voire la plus infime particule d’une nouvelle composition/conversation.

Vous utilisez des techniques de jeu étendues. Quel type de son recherchez-vous ?
Je n’ai pas le sentiment d’utiliser beaucoup les techniques de jeu étendues. Mais je travaille la plupart du temps avec des quarts de tons qui peuvent revêtir un caractère bruité. En général je m’intéresse à l’imperfection du son, à tous ces parasites qui altèrent sa nature. Je recherche également les contrastes, une certaine brutalité au côté de la fragilité, par exemple. Mais je m’efforce le plus possible de traduire tous ces comportements instrumentaux à travers une notation traditionnelle.

Vous avez étudié avec un certain nombre de professeurs d’esthétiques diverses. Quels sont ceux qui vous ont le plus influencée ?
Je n’ai pas vraiment de modèle mais je suis reconnaissante envers chacun d’eux. La plus belle phrase cependant, qui résonne presque tous les jours en moi, est celle de Chaya Czernowin : « Work hard, live hard ».


 

Photos (de haut en bas) © Manu Theobald / © Anne-Elise Grosbois / © EIC