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Au son du souffle de mon amour. Entretien avec Philip Venables, compositeur.

Entretien By Christian Longchamp, le 19/11/2021

Avec 4.48 Psychosis le compositeur anglais Philip Venables livre une œuvre contemporaine forte, déchirante, qui évoque les affres de la solitude et de la dépression. Adaptation de la dernière pièce de l’autrice anglaise Sarah Kane, l’œuvre de Venables confirme avec force que l’opéra peut évoquer avec éloquence et pertinence les maux de la société actuelle.

Sarah Kane a marqué en profondeur le théâtre anglais et plus largement européen avec ses cinq pièces. 4.48 Psychosis est sa dernière œuvre qui ne fut créée qu’après son suicide en 1999. Qu’est-ce qui vous a attiré en premier lieu dans cette œuvre au point d’en faire votre premier opéra ?
À vrai dire, lorsque j’ai reçu la commande d’un opéra de la part du Royal Opera House, j’ai tout d’abord pensé travailler à partir du texte original d’un auteur avec lequel j’aurais collaboré activement. Puis un jour j’ai assisté à une représentation de 4.48 Psychosis réalisée par des étudiants. Je connaissais évidemment ce texte de Sarah Kane mais de l’entendre à nouveau alors que j’étais dans cette réflexion, dans cette recherche de ce que pourrait être le livret de mon premier opéra a été une révélation. Au cours de cette représentation, je me suis rendu compte que tout ce que je recherchais dans une collaboration avec un auteur était présent dans ce texte. Avant toute chose, on n’y trouve pas une narration classique linéaire avec une histoire et différents personnages. La pièce est très formalisée, structurée et contient une grande variété de types de textes, des moments profondément poétiques, des descriptions banales d’une certaine manière et des passages presque abstraits. En résumé, ce qui m’a tout d’abord attiré dans 4.48 Psychosis, c’est sa forme, plus que son contenu psychologique, bien que cet élément ait évidemment beaucoup d’intérêt.

 

Ce qui frappe immédiatement à l’écoute de votre opéra, c’est le travail que vous avez réalisé pour les voix à partir de la pièce, en en respectant totalement le texte, avec notamment cette multiplication de couches vocales qui parfois se superposent, le chant, le texte parlé, la voix préenregistrée. Un ensemble de couches sonores pour dire la complexité psychologique de la figure féminine. Pouvez-vous nous préciser ce qui vous a conduit vers cette forme ?
J’aime travailler avec les textes depuis de nombreuses années et la présence de la voix n’a cessé de croître dans mes compositions. J’ai souvent intégré des chanteurs, des vocalistes ou la voix des instrumentistes dans mes concerts. Si 4.48 Psychosis est mon premier opéra, j’ai eu l’occasion à de nombreuses reprises de travailler par le passé sur des formes opératiques courtes lors de workshops et j’ai toujours cherché à comprendre comment il était possible de combiner des textes chantés et des textes récités. J’aime énormément aller au théâtre, probablement même plus que d’assister à un spectacle d’opéra. Il y a cette immédiateté et une efficacité sur scène malgré la complexité de l’histoire qui y est racontée, les sujets politiques ou intimes qui y sont abordés, qu’on trouve à vrai dire très rarement à l’opéra. Avec la pièce de Sarah Kane, j’avais donc un matériel idéal pour ce type d’approche. Réalité et imaginaire, présent et souvenirs se mêlent dans le texte. Ce sont des couches qui se superposent que j’ai essayé de traduire de différentes manières avec notamment des voix préenregistrées, le chant, le texte récité, etc. On trouve évidemment dans le texte même de Sarah Kane, qui est extraordinairement musical et polyphonique, ces différentes voix même s’il n’est question au final que d’une seule voix de femme.


Vous m’avez beaucoup parlé de la forme du texte de Sarah Kane, mais peu de son contenu. Or il me semble important. Est-ce que ce contenu a eu aussi un rôle majeur dans les choix formels que vous avez faits ?
Je n’ai pas voulu écrire un opéra sur la dépression. C’est le texte qui m’a inspiré plutôt qu’un contexte plus large ou, disons, le contenu politique. Dans la pièce comme dans l’interprétation que j’en ai fait, il est beaucoup question d’amour. De l’envie d’être heureux, du besoin et de la recherche d’un amour, parfois d’un amour impossible et de ce qui se passe lorsque nous ne savons ou ne pouvons pas le trouver. S’y révèle aussi un regard profond et paradoxal sur la vie, mais j’ai de la difficulté à mettre des mots sur ce que je ressens. Ces émotions, ces contradictions ne nous sont pas inconnues même si nous ne les avons pas éprouvées de manière aussi extrême.

 

Photos (de haut en bas) : © Harald Hoffmann / DR

Entretien réalisé  à l’occasion de la création française de 4.48 Psychosis à l’Opéra national du Rhin le 18 septembre 2019.