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Comme un seul instrument. Entretien avec Yan Maresz, compositeur.

Entretien By David Verdier, le 28/05/2016

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Le 10 juin 2016 à Paris, l’Ensemble intercontemporain pourra exprimer toutes ses qualités collectives dans Tutti, une œuvre pour grand ensemble et électronique de Yan Maresz, créée en 2013. Une composition dont « l’idée de départ a été d’écrire l’ensemble comme un seul et unique instrument ; un seul instrument capable de produire des couleurs et un discours variés, mais porteur d’une seule identité. »
Entretien avec un compositeur toujours en recherche de nouvelles relations entre musique instrumentale et électronique.

Vous écrivez une musique qu’on peut qualifier de « complexe », même si cette complexité n’est pas toujours apparente…

La complexité est inhérente à toute écriture. À partir du moment où la structure est solide, je ne m’intéresse qu’à la « communicabilité » de la musique, à ce qu’elle porte en elle. Ce n’est pas un retour nostalgique vers l’expressivité, mais c’est ma façon d’écouter la musique. J’ai parfois réalisé des travaux de recherche qui n’ont pas forcément abouti dans une œuvre ; et inversement, je peux élaborer des systèmes qui deviennent de la musique. Mais pour devenir une œuvre, il faut un supplément d’âme. C’est parfois le fait d’accident, de reniements, mais ce n’est pas réductible à une technique. C’est la complexité de la personnalité de celui qui écrit. Révéler la complexité à l’écoute n’est intéressant que si cela relève du projet artistique.

Dans Tutti, vous travaillez la notion de ripieno et la notion de bloc instrumental. Quels sont les principes fonctionnels de cette pièce ?

L’idée de départ, c’est la problématique de l’écriture de l’ensemble avec électronique. Avec un petit ensemble, la place de l’électronique se fait aisément mais plus l’effectif est grand, plus le rôle de l’électronique est difficile à situer et à justifier après coup. Je me suis souvent posé cette question en écoutant des pièces mixtes dans lesquelles l’électronique n’avait pas une place si importante que ça. Ces pièces pouvaient s’écouter avec ou sans électronique, sans que cela fasse une différence. Les pièces avec électronique sont « sur-écrites » pour l’électronique. Dans Tutti, j’ai cherché quel était le meilleur moyen de travailler ce rapport. Ma première solution était de considérer l’ensemble comme un seul et même instrument – un tutti –, polychrome certes, mais avec de multiples possibilités individuelles participant néanmoins à l’idée d’un tout. L’électronique est ainsi le complément de ce que ne font pas les instruments.

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Les instruments ne pourraient-ils pas restituer les effets rendus par l’électronique ?

Ils pourraient tout à fait les réaliser mais au lieu de surcharger la partition de détails, d’ornementations, de modes de jeu, j’ai préféré une écriture instrumentale plus simple et plus aérée, de telle sorte que l’électronique vienne se placer dans les espaces complémentaires. Par exemple, au lieu d’écrire un tremolo sur une note sul ponticello, je joue simplement une note et j’ai un système électronique qui vient faire quelque chose dans l’espace des notes. Cela produira quelque chose de différent d’un tremolo ponticello mais c’est là tout l’intérêt. On entend cet effet car il y a un espace prévu pour le placer… ce qui est rarement le cas dans les œuvres mixtes. On ne peut pas entendre Tutti sans électronique, ça n’a aucun sens. Ça pose d’ailleurs un problème lors des répétitions car il y a très peu de matière instrumentale. C’est uniquement le rapport entre l’électronique et l’ensemble qui fait qu’on entend quelque chose d’extrêmement complet et complexe.

Ce « tout » est analysé par l’ordinateur qui fabrique un complément sous forme de processus en temps réel. Il y a un suivi de tempo continu (et de déclenchement) qui est assuré par le clavier dans l’orchestre. Parfois le clavier suit le chef, parfois il envoie des instructions. Les processus eux-mêmes sont écrits. Ils ont parfois une certaine dose de liberté (certains processus peuvent changer d’une lecture à l’autre), mais ça reste dans un cadre statistique des chaînes de Markov par exemple. L’écriture de la dramaturgie est intimement liée à la notion d’espace. Je me demandais comment justifier la présence du son dans des haut-parleurs au-dessus de la tête alors qu’on est focalisés sur ce qui se passe sur la scène. La plupart du temps, on entend le son acoustique et on ne sait pas pourquoi le son voyage autour de soi. Dans l’acousmatique, le problème ne se pose pas, mais avec des instruments acoustiques, c’est plus délicat. Il est difficile de justifier que ce n’est pas un effet. J’ai donc voulu fabriquer un dispositif électronique qui permette de ne pas percevoir la différence entre acoustique et électronique. On perçoit un ensemble « augmenté », sans pouvoir localiser où sont les sons électroniques et instrumentaux. C’est une mixture continuelle ; à certains moments la musique électronique s’autonomise et se perçoit comme musique acousmatique puis elle retourne dans l’orchestre. C’est une forme de porosité entre le structurel et la sensation. Mais je dois reconnaître qu’il n’y a aucune autre raison à ces mouvements spatiaux que la dramaturgie.

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De votre point de vue, quels territoires technologiques restent encore à explorer ?

Certainement, de rechercher toujours plus d’interactions avec les machines. Personnellement, je m’intéresse davantage au domaine acoustique. D’où mon implication dans l’orchestration et la perception psychoacoustique, autour du développement d’un logiciel destiné à l’orchestration. Ce travail se pose comme une rétroaction de toutes les technologies qui sont développées à l’IRCAM et ailleurs.

Envisagez-vous la disparition de l’instrument ?

Non, je ne suis pas attiré par la musique acousmatique. Je l’enseigne, mais ça ne m’attire pas. J’ai vraiment besoin de la beauté du geste instrumental, du rayonnement, de la présence sonore d’une source vivante. L’accompagner, la rendre ambiguë, oui. Envisager sa disparition, non.

 

 

Photos © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain