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La création musicale n’est en  pas en retrait sur les grandes problématiques de son temps et les compositeurs et compositrices savent s’emparer, à leur manière, des questions les plus actuelles, comme l’écologie ou la crise sanitaire. C’est ce dernier sujet qui a donné l’idée à la compositrice autrichienne Olga Neuwirth d’ouvrir un nouveau cycle fort justement intitulé coronAtion, qui compte d’ores et déjà trois volets. Venant après io son ferito ahimé (« je suis blessé, hélas ») et avant spreading a dying spark, dished up (« rayonnant d’une lueur mourante, étincelante »), Naufraghi del mondo che hanno ancora un cuore (« Les naufragés du monde qui ont encore un cœur) » se veut un reflet de l’état d’esprit de la compositrice après quelques mois de confinement. Et, comme son titre l’indique, elle use et abuse délibérément de la métaphore marine — qui lui permet au passage de composer une œuvre en accord avec les incontournable contraintes de distanciation physique. Les cinq interprètes sont ainsi répartis dans la salle, éloignés les uns des autres, tels cinq îles, isolées, indépendantes. Le piano, symbole de la musique classique par excellence, est comme un navire échoué au centre de la scène, à jamais abandonné, tandis que les quatre autres instruments (flute et clarinette, violon et alto) forment un archipel de résonance à distance. De ce dispositif nait alors la possibilité de rêver un monde meilleur. Cela n’a toutefois rien d’évident : chacun à son tour, les musiciens se lancent dans un solo, au cours duquel ils épuisent toute leur énergie — l’énergie du désespoir. À la fin, nos naufragés musiciens se rapprochent à nouveau les uns des autres, convergeant vers le piano. Ensemble, ils tentent de reprendre la mer, au rythme d’un tango aux accents ironiques.   

Isolés, mais ensemble (cette fois-ci sur une terre désertique désert et non plus en mer) c’est  aussi le sujet de Deserti d’Aureliano Cattaneo. « Le désert est en constante transformation, dit le compositeur, mais semble toujours le même, comme un labyrinthe qui évoluerait constamment. » Cet oxymore trouve son expression dans l’écriture de la pièce, dont les deux principaux éléments musicaux sont antagonistes : « une pulsation rythmique rapide qui conquiert graduellement tout l’espace et s’étend de la percussion à l’ensemble tout entier d’une part, et, d’autre part, un geste lent et souple, comme une « soupe primordiale », qui parfois prend forme et parfois retourne à son état informe et liquide. »

Eufaunique, enfin, parle encore de séparation : celle des êtres humains des animaux (la « faune ») — une séparation en forme de cohabitation, supposée se faire dans l’harmonie et « l’euphorie ». L’œuvre est en effet née dans le cadre du projet Genesisen 2017 : sept compositeurs ont été invités à interroger le concept même de création en s’emparant du récit biblique pour mieux dégager les lignes de forces de ce que signifie aujourd’hui « créer ». À chacun d’eux a été attribuée une journée de la Genèse. L’italien et parisien d’adoption Stefano Gervasoni a donc hérité du sixième jour.

À la première version de la pièce créée en 2017, le compositeur a depuis ajouté une seconde partie, un Largo desolato, durant laquelle l’homme devient chasseur : il traque l’animal et bouleverse l’équilibre naturel.  Une façon pour le compositeur d’imager musicalement la crise écologique actuelle.     

 

Distribution
  • Solistes de l’Ensemble intercontemporain*
    Sophie Cherrier flute
    Martin Adámek clarinette
    Dimitri Vassilakis piano
    Hae-Sun Kang violon
    John Stulz alto

    Ensemble intercontemporain
    Matthias Pintscher direction

  • Production Ensemble intercontemporain
    En partenariat avec la Cité de la musique – Philharmonie de Paris
    Concert enregistré par France Musique

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