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Le Requiem : un fantôme à habiter de l’intérieur. Entretien avec Francesco Filidei, compositeur.

Entretien Par Thomas Vergracht, le 14/01/2021

Au fil des années, le compositeur italien Francesco Filidei s’est imposé comme un des grands représentants de l’écriture vocale, notamment grâce à ses deux ouvrages lyriques, Giordano Bruno (2016) et L’Inondation (2019). Il a récemment composé un Requiem qui sera présenté, en création française, le 21 janvier 2021 à la Philharmonie de Paris. Une œuvre en forme d’évidence tant le travail de Filidei explore le labyrinthe de la mémoire.


Francesco, vous êtes italien, amoureux d’opéra… Quel rapport entretenez-vous à la voix ?

J’ai commencé par composer des œuvres très bruitistes, notamment lorsque je devais écrire pour chœur : N.N ou I Funerali dell’Anarchico Serantini répondent à ce principe d’explorer toutes les possibilités de la voix humaine. Dans ces œuvres, la dimension corporelle, chorégraphique et quasi charnelle de la voix était mise en jeu. Plus tard, et après ma première confrontation avec l’opéra, mes recherches ont porté sur une vocalité plus épurée, avec un langage beaucoup plus « sonnant ».

Que représente aujourd’hui la composition d’un Requiem ?

Pour moi, cela passe obligatoirement par un appel à la nécessité de la mémoire. Toutefois, derrière toute volonté créatrice, il y a celle de détruire, pour pouvoir reconstruire et imaginer quelque chose de neuf. Dans le cas du Requiem, on part sur un socle de plus de mille ans, et auquel un créateur européen doit à mon avis se confronter. Cette matière humaine qui s’est développée au cours du temps est d’une qualité unique. Mais aujourd’hui, une fois le point de repère donné, il faut pouvoir agresser cet héritage et le remettre en question. On pourra ainsi retrouver dans ma pièce une recherche harmonique (inspirée par le Requiem de Duruflé) développée sur le cycle des quintes dans l’Introït, un intérêt manifeste pour le contrepoint et la numérologie dans le Kyrie (clin d’œil au Requiem de Ligeti), ou bien une théâtralité opératique dans le Dies Irae (Verdi).
Comme de nombreux genres très typés, le Requiem est pour moi une forme « morte ». Elle a donné son potentiel maximal par le passé. On la retrouve aujourd’hui sous la forme d’un fantôme qu’il faut habiter de l’intérieur.

Cette démarche peut-elle s’étendre à toutes vos œuvres ?

Ce qui est certain, c’est que le rapport à la mort est constant dans toute ma musique, tout comme le désir de donner vie à des objets disparus, inanimés. À ce propos, j’ai grandi à Pise et, étant petit, je passais souvent devant l’église Saint François d’Assise, qui était sur le chemin de l’école. C’est une immense église du Moyen-Âge, et c’était très impressionnant pour le jeune garçon que j’étais. Je me souviens y avoir vu un jour une messe dans une petite chapelle attenante. Dans la pénombre, de vieux moines officiaient. Des moines qui avaient connu les horreurs de la guerre. Cette image, ce souvenir est important pour moi, et je pense qu’il correspond à certains aspects de ma musique.

Avez-vous ajouté des textes au canon liturgique du Requiem ?

Non, et j’en suis très heureux ! J’ai voulu me concentrer sur le pur signifiant musical. La matière est fixe, comme des pierres. Les mots de l’office des morts ont été sculptés, polis par plusieurs siècles d’histoire, Il n’y avait donc pas de nécessité d’ajouter d’éléments supplémentaires. Je récupère la force primitive du genre, en lui appliquant un vernis différent. L’œuvre, d’une durée d’une demi-heure, est écrite pour chœur de seize chanteurs et dix-sept instruments, avec une structure très classique : Introït, Kyrie, Dies Irae, Agnus Dei. Ce sera un Requiem très « italien », comme on peut se l’imaginer, ancré dans la tradition de Verdi, et par conséquent très opératique.

 

 

 

Votre œuvre sera jouée juste après le Stabat Mater de Palestrina : est-ce un compositeur qui compte pour vous ?

Oui, les œuvres de Palestrina représentent une perfection quasi magique. C’est une musique que j’ai beaucoup étudiée, chantée et jouée à l’église, lorsque j’étais organiste de la cathédrale de Pise. Mon opéra Giordano Bruno (extraits vidéo ci-dessous) contient même un véritable petit patchwork de Palestrina. Je me rends d’ailleurs compte que plus j’avance dans la conception de mon Requiem, plus je pense que les voix auront un rôle important, lié justement aux polyphonies de la Renaissance. 

 

 

Photos © Kai Bienert