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Activité volcanique, entretien avec Yann Robin

Entretien Par Véronique Brindeau, le 15/09/2010

Yann Robin - compositeur
Votre dernière œuvre qui sera créée le 8 octobre lors du festival Musica avant d’être reprise à la Cité de la musique le 14 décembre, s’intitule Vulcano : Est-ce un titre métaphorique ?
Oui. Je ne peux pas écrire une pièce si je n’ai pas déjà une idée de son titre. Lorsque l’on écrit, tout est possible. Pour reprendre une belle expression de Michaël Levinas, « composer c’est comme plonger les mains dans l’infini ». Penser au projet de manière métaphorique me donne une direction dans le travail. Un titre comme Vulcano fait travailler l’imaginaire de multiples manières : on peut penser à Vulcain, dieu des métaux, des forgerons et de toutes les matières qui brûlent – et cela justifie pour moi, au sein de la pièce, un moment où prédomineront les métaux ; ou bien penser aux différents dynamismes des volcans, à la matière que l’on y trouve. Vulcain est aussi le fils de Junon et de Jupiter, tout au moins dans l’une des versions du mythe. Sa mère le précipite du haut de l’Olympe quand elle constate qu’il est boiteux, puis il est recueilli par les filles d’Océan. Des métaux dans une forge, un dieu gigantesque et boiteux… tout cela m’aide à trouver un moment de la pièce. Je ne fais pas de figuralisme : c’est un fil, une histoire que je me raconte, surtout au début, et que j’oublie ensuite pour me concentrer essentiellement sur le son et le timbre. Un volcan semble la plupart du temps endormi, mais il cache une activité intense et permanente qui jaillit quand il entre en éruption. Cela s’annonce par des tremblements de terre très légers appelés trémors, des vibrations à basse fréquence, comprises entre 1 et 5 Hertz. Chaque moment d’une éruption volcanique a ainsi un dynamisme, une trajectoire qui se déroule dans le temps. Ces différentes phases m’aident à articuler des moments sonores, à déterminer des « cibles », à les poser dans le temps. J’ai besoin d’éprouver physiquement la sensation que cela avance. Je n’écris pas quelque chose tant que je ne sais pas ce qu’il y a après ni ce qui suivra cet après. Ces images, ces dynamismes, m’aident à avancer, j’en ai besoin pour écrire une pièce, pour qu’il y ait un geste, une trajectoire perceptible. Mais j’aurais pu également ne pas parler de volcans, parce que l’écriture du son comporte malgré tout une dimension abstraite.
Pensez-vous que le fait d’avoir été confronté à une activité d’improvisateur, a influencé votre perception du temps ?
J’écoute toujours beaucoup de jazz, mais je n’en joue plus, ou parfois avec quelques amis. L’improvisation reste quelque chose de très présent pour moi, mais qui est plutôt de l’ordre de la composition instantanée. Quand j’improvisais dans des clubs, des festivals, comme pianiste ou parfois contrebassiste, je n’arrivais pas à aller jusqu’au bout de ce que j’aurais voulu dire. Depuis que je me consacre uniquement à l’écriture, j’ai l’impression de pouvoir aller un peu plus loin chaque fois par rapport à moi-même, de me trouver un peu plus. J’ai choisi tardivement de n’être que compositeur, mais tout ce passé m’a fourni des armes pour ce que je vis aujourd’hui. Le travail avec la voix chantée ou criée dans les instruments à vent, les sons éclatés, explosés, la virtuosité instrumentale, tout ce que j’ai pu expérimenter avec Alain Billard sur la clarinette contrebasse ou à la percussion avec Gilles Durot, ce rapport extrêmement rythmique et qui m’est cher, le rapport à la pulse, tout cela provient en grande partie du jazz. Ce dont j’ai besoin dans une pièce, ce que je dois écrire, je ne l’écris que si je le ressens intérieurement, physiquement ;  probablement un héritage qui me vient des musiques improvisées.
La composition n’est donc pas pour vous une démarche abstraite ?
Non pas uniquement. C’est avant tout physique, concret, sensuel. J’ai eu la chance, pendant quelque temps, de pouvoir « faire le son » sur scène, de le partager. Lorsque l’on se retrouve devant sa feuille, consciemment ou inconsciemment, tout cela revient. J’ai du mal à me séparer de la pulse – pour l’instant, en tout cas. Pour moi le rythme, la danse, sont les premières choses auxquelles on est confronté dans la vie avant même de venir au monde ; l’enfant perçoit les battements du cœur de sa mère, le bruit de ses pas… Le chant n’arrive qu’après. La première bouffée d’air, c’est le cri, et le rythme était déjà là. Il me semble que tout est lié : le rythme, la pulse et l’énergie qui provient justement de ce rythme, que l’on retrouve dans le jazz et dans d’autres musiques que j’aime, comme le heavy metal que j’ai beaucoup écouté. On ne peut par renier tout ce qui nous a nourri. Peut-être vaut-il mieux le développer car cela finit toujours par transparaître dans notre travail .

Pour quelle formation l’œuvre est-elle écrite ?

Vingt-neuf musiciens, c’est-à-dire l’effectif presque complet de l’Ensemble intercontemporain. Je m’en réjouis parce que je connais bien la plupart des musiciens. C’est toujours très agréable d’écrire pour des personnes que l’on connaît. En même temps, les enjeux sont plus forts, parce que vous n’avez pas envie de les décevoir… J’ai favorisé les registres très graves : trois clarinettes contrebasses, deux contrebassons, deux trombones basses, un tuba, trois grosses caisses…
… on revient aux profondeurs de la terre !
J’essaie de trouver des sons qui tendent vers l’électronique, en travaillant séparément sur les particularités acoustiques des instruments, puis sur les « battements » entre les instruments. Je développe ce qui était en partie présent dans Art of Metal III, mais sans l’électronique. Je ne sais pas si cela marchera ou non, mais les musiciens de l’Ensemble sont tellement géniaux qu’ils trouveront certainement des solutions pour tendre vers le son que je cherche…
Propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n° 42
– septembre-décembre 2010
Photo © Elisabeth Schneider