See menu

« Grains de lumière ». Entretien avec Vito Palumbo, compositeur.

Entretien By Jean-Christophe Montrency, le 30/10/2023

Invité le 10 novembre prochain par le festival romain Nuova Consonanza, l’Ensemble intercontemporain créera, sous la direction de Nicolò Umberto Foron,  Seeds of Light de l’Italien Vito Palumbo. Rencontre avec un compositeur encore peu connu en France qui trouve aujourd’hui son inspiration dans les phénomènes chimiques, physiques et même astrophysiques.

 

Vito, en parcourant votre catalogue, et en écoutant votre musique, on remarque des références (souvent humoristiques ou nostalgiques) à des musiques existantes.
Je suis passé par différentes phases stylistiques, comme beaucoup de compositeurs. Au début de mon parcours créatif, alors que j’étais encore étudiant, j’étais fortement influencé par mes professeurs, Azio Corghi et Luciano Berio, dans un héritage poétique en lien avec le courant post-moderne. Le traitement et l’utilisation de matériaux du passé, par filtrage et déformation, étaient alors en effet une orientation récurrente de mes compositions. Ceci n’apparait plus dans ma musique : au cours des dix dernières années, j’ai ressenti le besoin d’abandonner toute référence plus ou moins reconnaissable, pour me plonger dans un paysage sonore irréel et abstrait, lié à des phénomènes chimiques, physiques ou astrophysiques. Je me concentre particulièrement sur l’idée de transformer la couleur et la lumière en son.

Toujours à ce sujet, étant donné que ce concert aura une tonalité italo-française : quel est votre rapport à ce qu’on pourrait appeler la « musique française » — en écoutant certains morceaux, on peut parfois entendre des couleurs « françaises », comme dans Butterfly, par exemple ?
Pour moi, la musique française est une porte d’entrée, précisément pour parvenir à une conception plus abstraite et colorée de la musique. J’adore Debussy et Ravel dont j’ai appris bien des secrets en orchestration. Puis j’ai commencé à étudier des compositeurs plus modernes, tels Boulez, Murail, Grisey et quelques autres issus de l’école spectrale. La découverte de ces compositeurs m’a poussé vers une investigation approfondie de la matière sonore en elle-même, afin de calibrer les dégradés du son et d’explorer les infinies propriétés expressives de l’écriture orchestrale (avec plus de dix concertos composés ces dernières années) ou, plus récemment, de l’écriture chambriste avec électronique en temps réel, à laquelle je suis revenu (notamment dans ma Chaconne pour violon électrique et électronique – photo ci-dessous) après de nombreuses années consacrées uniquement aux instruments acoustiques.

Page de la partition de Chaconne pour violon électrique et électronique

 

L’Ensemble crée le 10 novembre Seeds of Light : d’où vient ce titre et la pièce a-t-elle un lien avec votre pièce antérieure, Frame of Light ?
Ces dernières années, j’ai développé le concept de « son-lumière », que j’ai appliqué et applique encore à toute ma production. Ce concept va au-delà des notions de couleur et de timbre, et recouvre à la fois une réflexion nouvelle sur certaines caractéristiques du son et, surtout, sur leur traitement et leur élaboration via l’orchestration. Ce concept régit plusieurs de mes œuvres récentes les plus représentatives de mon style : œuvres de chambre (dont Frame of Light, Chaconne et quelques autres pièces avec voix), ma série Skin (dont chaque pièce, dédiée à un instrument, est l’occasion d’une investigation de « la peau du son ») et diverses œuvres orchestrales de grande envergure (Concerto pour violon, Concerto pour piano, Concerto pour clarinette, Double Concerto, Concerto pour harpe, etc.).
Seeds of Light est née de l’idée abstraite d’une prolifération progressive de « graines de sons », dont chacune génèrerait elle-même sa propre aura, comme une ombre. La relation et la superposition dans l’espace de ces auras constituent progressivement un kaléidoscope de différentes lumières et couleurs, qui prend vie et s’articule dans un processus de densification graduelle. Du point de vue formel, différents épisodes se succèdent sur un ton rapide et ludique, pour proliférer en un réseau très dense de micro-gestes caractérisés par une granulation qui tissent des textures transparentes. Au cours de ce processus de fragmentation, chaque variation déploie une variété de textures de plus en plus impalpables et liquides. Dans la dernière partie, on parvient à un climax dans lequel tout ce voyage se fige dans un espace intemporel, se cristallisant en des sons immobiles que les instruments s’échangent en fondus enchaînés, grâce à de multiples techniques de jeu étendu. Dans cet espace, les sons suspendus alternent avec des moments plus contrastés et violents qui amènent le discours musical vers des pulsations très rapides, jusqu’à s’évanouir dans le suraigu.

                                                                Seeds of Light, esquisse rythmique

Comment procédez-vous habituellement pour structurer formellement votre musique ? Qu’en est-il de cette nouvelle œuvre en particulier ?
Comme je le disais, ma musique est désormais influencée par mes intérêts pour la chimie, la physique ou l’astrophysique. J’essaie de traduire en sons certains phénomènes naturels qui me fascinent et me paraissent proprement miraculeux. La structure et la forme de mes pièces découlent de transformations progressives de la matière sonore, comme des sculptures sonores liquides, que j’essaie de modeler au fil du discours. Ces derniers temps, je me suis intéressé à l’astronomie et j’ai imaginé traduire des événements cosmiques en matière sonore, avec une attention particulière portée à la spatialisation — ce qui met inévitablement en jeu une recherche sur les sons électroacoustiques. Le chant de Seeds of Light évoque par bien des aspects des sonorités électroacoustiques car j’ai tendance à transplanter le rendu sonore de la musique électroacoustique dans le domaine instrumental, de la musique solo au grand orchestre. Cependant, le parcours narratif de la pièce guide l’auditeur au travers différentes « salles » sonores, parfois via des transformations progressives, d’autres fois au moyen de caractères et de gestes musicaux clairement contrastés.

Photos : DR