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« La beauté et l’harmonie des contrastes me fascinent » : entretien avec Sofia Avramidou, compositrice.

Entretien By Michèle Tosi, le 31/03/2023

Pour son récent A Hug to die (2022) qui sera joué au Megaron d’Athènes le 6 avril prochain, Sofia Avramidou s’est inspirée d’un texte saisissant, The Pillowman, du dramaturge britannique Martin McDonagh. Explications de la  jeune compositrice grecque.

Sofia, A Hug to die pour huit musiciens s’inspire de The Pillowman du dramaturge Martin McDonagh. Votre pièce écrite dans le cadre du cursus de L’Ircam fait, quant à elle, référence à Lewis Carroll. La littérature est-elle une source d’inspiration importante pour vous ? Quel type d’écriture littéraire recherchez-vous ?
Mon travail est souvent influencé par des pièces de théâtre ainsi que par des mythes et des contes de fées. Le non-sens littéraire en particulier fonctionne comme une source d’inspiration car il est plein d’explosions, de contrastes, avec une dramaturgie qui oscille toujours entre équilibre et déséquilibre. Pour moi, un son peut faire référence à des images poétiques pouvant provenir de la littérature ou même de quelque chose de plus personnel et inconscient, comme nos rêves, nos peurs et nos fantasmes. Ma recherche poétique personnelle est de découvrir et d’explorer ce lien hybride et fragile entre la littérature et la musique.

Vous vous intéressez aux processus de transformation du timbre. Comment s’effectue le travail sur le timbre dans une pièce pour huit instruments sans électronique comme A Hug to die ?
Ce qui m’inquiétait pendant que je lisais cette pièce de McDonagh était de savoir comment toute la gamme d’émotions que je ressentais allait pouvoir être transformée et traduite en son. J’ai voulu symboliser toutes ces émotions contradictoires entre logique et irrationnel, réel et surréel, pur et cynique, à travers la création de différents environnements sonores. J’avais initialement en tête le passage entre deux événements sonores contradictoires : plusieurs textures subtiles dans un espace plutôt statique inspirant un sentiment de calme et de sérénité fragiles qui, au fur et à mesure que cette uniformité évolue, laissent la place à un son mécanique obsessionnel composé de rythmiques répétitives et récursives.

Vous recherchez les contradictions et les contrastes (la logique et l’absurde) ; vous aimez les passages entre équilibre et chaos absolu. Est-ce là un trait de votre personnalité qui ressort ?
La beauté et l’harmonie des contrastes m’ont toujours fascinée. Ma musique a aussi des côtés très opposés et contradictoires car elle reflète ma façon de penser et de percevoir le son. C’est un processus interactif où l’inconscient et l’intuitif côtoient le pleinement conscient et le contrôlé.


Pourquoi faites-vous le choix du Waldteufel, ce petit instrument utilisé par tous les musiciens à la fin de la pièce ? Quel effet particulier recherchez-vous
?
C’est le jeu du Waldteufel avec un archet qui m’a intéressée. J’utilise ce son spécifique de manière structurelle tout au long de l’œuvre, d’abord en tant qu’élément unique d’arrière-plan qui, en cours de route, arrive au premier plan et occupe tout l’espace. Comme dans une manifestation où l’un des participants commence et entraîne tous les autres à sa suite. Cela devient une grosse machine au son guttural, une voix rauque qui imprime quelque chose de cruel et poétique à la fois.

Comment abordez-vous la forme dans votre travail de composition ? Le parcours est-il déjà tracé avant le début de l’écriture ?
J’ai une vue très générale de la superstructure de mon travail mais je ne détermine jamais la forme à l’avance. Elle se découvre au fur et à mesure, en fonction des décisions musicales instinctives et intuitives que je peux prendre. J’essaie cependant, ayant en même temps une perception plus panoramique du son, d’aborder la forme non pas comme quelque chose de linéaire mais comme un processus plus récursif et évolutif qui se développe en fonction d’une palette de contrastes intenses. À travers la recherche poétique du son et le traitement de la matière, la forme se révèle d’elle-même.

Votre pièce est programmée au côté d’une partition de Iannis Xenakis, Jalons, pour ensemble. Quel est votre ressenti à l’écoute de sa musique ?
La musique de Xenakis parvient toujours à me captiver et m’impressionner. Je sens qu’elle a un pouvoir purificateur qui éveille nos instincts. Son impact est direct et je la ressens comme une grande force cosmique et tellurique incontournable incarnée dans le son.

Photo © Sandrine Expilly