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Mozart, Potocki et moi. Entretien avec Aureliano Cattaneo, compositeur.

Entretien By Jean-Christophe Montrency, le 14/05/2021

Le 29 mai prochain, l’Ensemble intercontemporain présentera une création singulière, La Nuit sombre, commandée au compositeur italien Aureliano Cattaneo. Une nouvelle œuvre composée spécifiquement pour dialoguer avec les mouvements de la Gran Partita de Mozart. Un exercice d’équilibriste pour le compositeur, qui nous raconte comment il est parvenu à retomber sur ses pieds…

Aureliano, comment avez-vous approché cette commande très particulière ?

C’était un défi. Un vrai. D’autant plus que, au départ, l’intention de Matthias Pintscher était d’ajouter à ce programme Terretektorh de Iannis Xenakis, une œuvre dans laquelle les instruments de l’orchestre sont disséminés dans le public. Quand je me suis replongé la Gran Partita, ma première écoute remontait déjà à quelques années, et j’ai eu le sentiment d’être immergé dans un espace sonore qui me ramenait inlassablement vers mon point de départ. La Gran Partita révèle un monde sonore riche et haut en couleurs mais, dans le même temps, et en raison de sa structure à la fois formelle et harmonique, c’est aussi une œuvre fermée et répétitive. Alors que je songeais à ces idées d’histoire dans l’histoire (ma pièce s’entrelaçant à celle de Mozart), d’espaces multiples (l’explosion spatiale des instruments de Xenakis), de continuité formelle et de retour inlassable à la case départ harmonique, j’ai immédiatement pensé, comme par association d’idées, au roman de Jan Potocki, le Manuscrit trouvé à Saragosse

J’ai donc décidé de diviser l’Ensemble en quatre groupes éparpillés dans l’espace : deux groupes se partagent la scène, tandis que, aux balcons, on trouve deux sopranos qui, chacune d’un côté, chantent avec un instrument à vent, respectivement une flûte et un trombone alto. On peut voir dans ce duo comme une représentation symbolique des « hermanos Zoto » (les frères Zoto), les deux pendus près desquels Alphonse van Worden se réveille encore et encore et encore dans le roman. Ou pas.

 

Pourquoi ce titre, La Nuit sombre ?

Le titre est un emprunt à un fragment de texte de Potocki que j’utilise dans le quatrième mouvement de ma pièce. Mais il peut aussi faire référence à ce moment de l’Histoire que nous sommes en train de vivre, cette longue « nuit sombre » qui, je l’espère, se muera en des lendemains qui chantent, un jour ou l’autre.

Comment avez-vous « joué » avec le chef-d’œuvre de Mozart ?

Je n’ai jamais eu l’intention d’écrire une « contra-Gran Partita », non plus que de composer un pastiche ou d’avoir recours à des citations de Mozart. J’ai créé ma propre histoire dans ses interstices. J’ai imaginé y ouvrir un espace sonore qui nous permettrait d’écouter la Gran Partita dans un contexte différent. Les cinq mouvements de La Nuit sombre s’entrelacent avec la Gran Partita avec une grande précision, parfois avec des attacas (en enchaînant directement d’un mouvement au suivant), parfois avec des pauses. Et même si on n’y trouvera nulle citation, on pourra parfois y entendre des échos, des ombres, des songes du Mozart…

Avez-vous le sentiment que votre pièce pourrait avoir une vie autonome ?

J’ai conçu La Nuit sombre comme une pièce intimement liée à la Gran Partita et, dans le même temps, autonome. Sinon, je ne crois pas que cela aurait fonctionné. Le poids de l’œuvre de Mozart était trop lourd à porter : j’ai ressenti le besoin de poser ma pierre à ses côtés, une pierre simple mais polie.

 

Photos (de haut en bas) : © Marion Kalter/Lebrecht Music & Arts / © EIC