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La joie de créer, le plaisir de jouer. Entretien avec Agata Zubel.

Entretien By Laurent Vilarem, le 20/10/2020

Explosive, virtuose et raffinée, la musique d’Agata Zubel séduit par son art des contrastes et son lyrisme coloré. En attendant la création de Triptyque en février prochain, l’Ensemble intercontemporain interprète son Concerto de chambre lors de la finale du Concours International de piano d’Orléans. Entretien avec une compositrice-soprano, qui demande (et obtient !) le meilleur de ses interprètes.

Le 31 octobre, l’Ensemble intercontemporain joue votre Concerto de chambre pour la finale du Concours International de piano d’Orléans. Agata, est-il vrai que le piano a été à l’origine de votre vocation musicale alors que vous n’aviez que quatre ans ?

Je ne viens pas d’une famille de musiciens si bien qu’il n’y avait pas d’instruments à la maison. Mon premier piano, je l’ai vu à la maternelle. Les enfants n’étaient pas autorisés à le toucher mais il était possible d’en jouer en fin d’après-midi, quand il ne restait que peu d’enfants. Alors que tous réclamaient de partir tôt pour qu’on les ramène à la maison, je suppliais mes parents de rester encore un peu à l’école pour pouvoir jouer du piano !

Néanmoins, vous avez étudié la percussion quand vous étiez jeune. Pourquoi ?

Mes professeurs ont très vite compris que j’avais un très bon sens du rythme, j’ai donc commencé par les instruments à percussion. Mais j’ai été très heureuse de ce choix – la percussion est un monde fantastique qui offre de nombreux sons et couleurs musicales différentes. Je pense que cela m’a énormément influencé en tant que compositrice et a façonné mon imaginaire de manière très polyvalente.

Votre pièce est un concerto de chambre pour piano et ensemble. Quel lien existe-t-il entre le soliste et l’ensemble instrumental ? Il ne s’agit pas d’un concerto pour piano traditionnel ?

Certes mais le piano y est définitivement leader. La virtuosité de la partie soliste est également obtenue en jouant sur deux pianos en même temps. L’un des pianos est « normal » et l’autre est préparé, ce qui donne plus de possibilités de couleurs différentes.

Avez-vous des conseils pour les trois finalistes du Concours de piano d’Orléans ? Quel serait le musicien idéal pour jouer votre Concerto de chambre ?

Je crois en la créativité des musiciens. Je suis sûre qu’ils sauront trouver leur chemin en étudiant la partition. Je suis très ouverte à différentes propositions pour interpréter ma musique – à la condition seule que la voie choisie possède une logique interne.

Vous êtes à la fois une compositrice de renommée mondiale et une chanteuse demandée par les plus grands ensembles, faites-vous une différence entre les deux pratiques ? Du fait d’être interprète, portez-vous davantage votre attention sur la virtuosité instrumentale ? Voulez-vous repousser les limites des musiciens ?

C’est une situation fantastique d’être à la fois compositrice et interprète car cela donne accès aux deux versants de la musique. En tant que compositrice, je pense souvent à la place de l’interprète et inversement – lorsque je prépare la pièce de quelqu’un d’autre, mes connaissances de compositrice sont très utiles. Quand s’agit de la création d’une nouvelle œuvre, il est très important de rester ouverte et créative car il n’existe pas de normes pour interpréter ce qui n’existe pas encore. Bien sûr, j’aime la virtuosité en musique. Pour moi, en tant que chanteuse, il est très important d’aimer la pièce que je vais interpréter. Je pense que tous les musiciens ont besoin d’avoir du plaisir en jouant. J’essaie donc d’écrire de la musique qui puisse être appréciée non seulement par le public mais aussi par les musiciens.

 

Au début de votre carrière, vous ne pensiez pas devenir chanteuse. Pouvez-vous nous dire comment vous êtes montée sur scène à l’occasion de votre pièce Parlando en 2000 ? Saviez-vous avant ce concert que vous possédiez un tel talent ou était-ce une surprise ?

Pendant mes études de composition, j’ai écrit une pièce pour voix qui était un peu expérimentale. À la fin de l’année scolaire, je demandais à mes collègues chanteurs d’interpréter cette pièce pour le concert mais personne ne voulait le faire parce que la pièce était trop particulière. J’ai donc dû l’apprendre par moi-même. Après ce concert, quelle n’a pas été ma surprise de voir que mes collègues compositeurs souhaitaient écrire des pièces pour moi ! J’ai très vite donné des concerts, dans des festivals de plus en plus importants. J’ai donc décidé de commencer à apprendre le chant. Désormais, je chante tout le répertoire et pas uniquement la musique moderne.

En 2007, vous créez votre pièce la plus jouée à ce jour, Cascando, qui combine deux éléments majeurs de votre travail : la voix et Samuel Beckett ?

Oui, j’aime beaucoup Samuel Beckett. J’aime la musicalité de son langage et sa narration. Cascando a en effet été le premier morceau inspiré par Beckett mais il y en a eu deux autres, What is the word ? et Not I, qui reste peut-être plus connu que Cascando, grâce au Prix Rostrum des Compositeurs.

Vous mettez souvent en musique des poètes polonais comme comme Czesław Miłosz ou Wisława Szymborska mais de par votre activité de compositrice et interprète, vous êtes également au cœur de la musique européenne. Y a-t-il une part spécifiquement polonaise dans votre musique ou bien pensez-vous qu’un compositeur d’aujourd’hui opère une synthèse internationale ?

C’est une question difficile parce qu’il est plus facile de voir les éventuels éléments nationaux de l’extérieur que de l’intérieur. Je suis certaine qu’il existe des éléments polonais dans ma musique parce que je suis polonaise et que je vis en Pologne. Mais je n’y pense pas pendant mon travail.

Concevez-vous une oeuvre comme isolée, régie par ses propres règles, ou bien considérez-vous qu’elle appartient à un ensemble beaucoup plus grand, comme si vous n’écriviez qu’une seule et unique pièce au cours de votre vie ?

À chaque nouvelle pièce, j’ai le sentiment que je repars à zéro. J’aime cette sensation d’être assise devant une page blanche. Vous pouvez aller ensuite dans différentes directions et choisir. Cela fait partie du jeu.

Après Double Battery, vous écrivez pour le 7 février, une deuxième pièce pour l’Ensemble intercontemporain. Pouvez-vous nous révéler certains de ses éléments?

La nouvelle pièce s’appelle Triptyque et sera jouée pendant le Festival Présences. Je suis toujours très enthousiaste de travailler avec l’Ensemble Intercontemporain et très heureuse qu’ils offrent bientôt la première de cette nouvelle pièce écrite pour eux.