See menu

“Ultimi Fiori”. Entretien avec Francesca Verunelli, compositrice.

Entretien By Jean-Christophe Montrency, le 02/03/2020

Le 22 mars, dans le cadre du week-end « Elles » de la Philharmonie de Paris, deux compositrices italiennes, Francesca Verunelli et Clara Iannotta, ont été invitées à choisir une œuvre de référence dans leur panthéon musical personnel, afin de la mettre en perspective avec l’une de leurs propres œuvres. C’est ainsi que la première a choisi de mettre en relation son Ultimi Fiori pour violoncelle solo avec la Canzona di ringraziamento du Quatuor à cordes n° 15 de Ludwig van Beethoven. Explications…

Francesca, pourquoi avoir choisi cette pièce de Beethoven ? 

Le travail de Beethoven et les enjeux qu’il soulève m’interrogent depuis mon plus jeune âge. Adolescente, je connaissais par cœur ses quatuors à cordes. C’est donc un compositeur très important pour moi. Il s’est posé des questions et y a apporté des réponses qui me pressent à me poser à mon tour des questions et à y apporter des réponses. Je suis assez d’accord avec Stravinsky qui disait que la Grande Fugue était « une œuvre immortelle et à jamais contemporaine ».

En quoi cette Canzona di ringraziamento et votre Ultimi Fiori se font-ils écho ?

Ce mouvement présente plusieurs similitudes, musicales ou non, avec Ultimi Fiori (les dernières fleurs). Je tiens à préciser d’emblée qu’il n’y a nulle citation ou référence littérale — pratique à laquelle je ne me suis jamais livrée jusqu’à présent. La question fondamentale est celle de l’écoute : pourquoi et de quelle manière l’écoute de cette musique provoque-t-elle en moi une expérience aussi forte et durable ? Et comment faire voyager dans le temps l’écoute de la musique qui habite mon imagination ? Pour simplifier à l’extrême (ce qui est toujours une mauvaise idée, car on en vient facilement à résumer en une phrase des notions trop complexes pour l’être), je dirais que l’approche de la temporalité de la Canzona, s’agissant de son déroulement harmonique et thématique, trouve un écho dans mon esprit dans le déroulement de la matière musicale d’Ultimi Fiori.

Mais ce n’est peut-être bien qu’une simple résonance intime, ce n’est peut-être que mon écoute de Beethoven qui me donne ce sentiment d’une voie, qui pourrait être celle par laquelle je souhaiterais qu’on écoute Ultimi Fiori. Par ailleurs, je considère aussi Ultimi Fiori comme une chanson, une « Canzona ». Une chanson qui parle de la mort puisque la pièce est née de la perte d’une personne aimée et de ce sentiment de totale incapacité à habiter cette rupture définitive. « Ultimi Fiori » signifie littéralement « Dernières fleurs » : c’est un dernier hommage et un lieu après la fin alors que cette fin même semble impossible.

Ultimi Fiori a été composée pour Séverine Ballon, connue pour s’impliquer largement dans ses créations : comment avez-vous travaillé avec elle ?

Travailler avec l’interprète, me confronter avec l’instrument physique et le rapport viscéral que le musicien entretient avec lui, me sont indispensables. Concrètement, c’est une sorte d’aller-retour entre l’abstraction la plus totale (car mon esprit fonctionne d’abord de manière très abstraite) et la concrétude du réel, du sonore, de la personne physique qui fait vivre la musique.

Depuis sa première création en 2016 sous la forme d’une pièce pour violoncelle et électronique, la pièce a évolué…

La première étape (il y a quatre ans) impliquait en effet un travail ponctuel d’amplification. Mais la pièce a continué à m’occuper et je me suis aperçue que c’était en réalité une pièce pour violoncelle seul : sa vérité est plus forte dans la « nudité » de l’instrument seul, sans rien d’autre. Séverine a donc créé cette version définitive de la pièce en 2017 dans le cadre du festival Éclat de Stuttgart.

 

Photo DR