See menu

Cristaux de notes. Entretien avec Hans Abrahamsen, compositeur.

Entretien By Laurent Vilarem, le 18/12/2019

Schnee du compositeur danois Hans Abrahamsen est sans doute l’une des œuvres les plus riches et les plus suggestives écrites sur le thème de la neige. Une grande rigueur formelle (dix canons séparés par des interludes), neuf musiciens qui déploient une grande économie de moyens, comme pour étudier au microscope les cristaux de neige. Rencontre avec un créateur à l’expression toute poétique dont ce grand cycle sera présenté pour la première fois à la Philharmonie de Paris le 29 janvier.

 

En 2006, Schnee signait votre retour sur la scène internationale, après une décennie au cours de laquelle vous n’aviez pas ou peu composé, comme si le blanc du papier s’était transformé en neige. Comment est née cette œuvre ?

D’une certaine manière, ma première pièce sur la neige était Winternacht (1978) pour sept instruments. Par hasard, j’avais trouvé dans une librairie d’occasion un livre de Georg Trakl. Ses poèmes, plein de couleurs et d’onirisme, m’avaient beaucoup ému. Au début de la pièce, on entend des petites ponctuations, comme des flocons de neige qui tombent, puis la ligne de neige qui s’amoncelle sur le sol, créant une surface de plus en plus gelée. Entre 1988 et 1998, c’est vrai, j’ai traversé une longue période de silence compositionnel. Je n’écrivais plus que des esquisses ou ne faisais que des arrangements de mes propres pièces ou d’œuvres d’autres compositeurs. L’image que vous suggérez entre le blanc du papier et le blanc de la neige est envisageable, mais le vrai déclenchement de la composition s’est opéré lorsque j’ai transcrit les 7 Canons de Bach. Des pièces très courtes, qu’on peut regarder de différentes manières si on les répète ou si on choisit d’en étudier l’avant ou l’arrière-plan. Rapidement, je me suis aperçu que la neige ressemblait aux canons. Une mélodie s’ajoutant à une autre mélodie créait une chaîne descendante, ou une ligne ascendante, si vous regardez la neige suffisamment longtemps pour avoir l’impression qu’elle monte.

Schnee est l’une de vos pièces les plus longues et les plus complexes, composée de dix canons et trois intermezzi : pourriez-vous nous expliquer sa structure ?

Dans un certain sens, la pièce est très simple : cinq mouvements symétriques que vous entendez chacun dans deux versions différentes. Le deuxième mouvement est quasiment un scherzo, le troisième, un mouvement lent. Les deux derniers canons sont plus courts, comme lorsqu’un épisode de neige s’arrête. D’une certaine façon, après ma pause dans la composition, j’ai senti que ma musique, après avoir été trop complexe, était redevenue simple. Schnee évoque de la musique minimaliste mais utilise des techniques très étendues, comme la microtonalité et toutes les techniques de la musique d’aujourd’hui.

 

La neige a inspiré des compositeurs comme Debussy, dont vous avez d’ailleurs orchestré The Snow is Dancing (avec le reste de Children’s Corner)… Voyez-vous des affinités entre votre musique et la sienne ?

J’adore ces pièces de Debussy. Dans ma version de The Snow is Dancing, la neige tombe plus rapidement afin qu’on l’entende vraiment danser. Lorsque je composais Schnee, je me suis aussi aperçu que les deux notes de Des pas sur la neige étaient revenues dans le tissu instrumental sans que je m’en rende compte. Comme Debussy, je pense que la musique est partout dans la nature. Mais je pense que la neige de Debussy est plus douce que la mienne, qui est plus germanique. Durant la composition de Schnee, j’ai été bouleversé par la lecture de Neige d’Orhan Pamuk. Cet homme qui prend le bus pour se perdre dans les paysages enneigés d’Anatolie me rappelait certains tableaux romantiques.

Depuis Schnee, la neige n’a pas cessé de vous inspirer, avec notamment votre pièce orchestrale Let me tell you et la prochaine création de votre opéra La Reine des neiges d’après Andersen.

Winternacht et Schnee ont tracé la matrice pour les œuvres qui ont suivi. À l’époque, je lisais beaucoup de poèmes sur la neige ; ma femme m’a conseillé de lire La Reine des neiges de Hans Christian Andersen, et elle avait raison ! Dès 2006, j’ai écrit un livret, des esquisses où j’essayais d’utiliser toutes les phrases originelles d’Andersen. On retrouve ainsi beaucoup de Schnee dans mon opéra. Après ma pause dans l’écriture, j’ai retrouvé la joie de retravailler en tant que compositeur. Parfois, vous tombez dans une tempête de neige qui vous empêche d’avancer, puis vous continuez dans un paysage plus doux et apaisé. Mais entre-temps, vous avez appris ce que c’est que de lutter.

 

Extrait de Schnee d’Hans Abrahamsen

 

Photos : © Lars Skaaning / DR