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Oliver Knussen : un portrait.

Grand Angle By Thomas Vergracht, le 28/11/2019

Il s’appelait Oliver Knussen. Mais ses proches l’appelaient tous « Olly ». Compositeur et chef d’orchestre, Knussen devait diriger ce 10 décembre un concert à la tête de l’Ensemble intercontemporain, visant à faire connaître au public français son univers musical, célébré dans son Royaume-Uni natal, mais encore si peu connu de notre côté de la manche. Son décès prématuré en Juillet 2018 n’aura pas pour autant marqué la fin de ce projet et c’est le chef américain Brad Lubman qui reprendra le flambeau pour rendre un dernier et vibrant hommage à « Olly ». 

 

Né en 1952, Oliver Knussen débute son apprentissage de bonne heure. En effet, difficile de passer à côté d’une carrière musicale avec un père comme Stuart Knussen. Contrebasse solo du London Symphony Orchestra durant plus de vingt ans, Stuart fait ainsi profiter son jeune fils de la meilleure des formations musicales qu’il soit. La composition arrive d’ailleurs presque sur le tard pour l’adolescent, son père l’orientant plutôt vers une future carrière de chef d’orchestre. C’est d’ailleurs durant une répétition du LSO que le jeune Oliver reçoit les encouragements du grand Benjamin Britten, dont l’orchestre répète la création de Curlew River au festival d’Aldeburgh.

À quinze ans, Knussen (photo ci-contre) émet le désir de quitter l’école pour se consacrer pleinement à la musique. C’est justement à cette époque qu’il créé l’évènement, en dirigeant la création de sa Symphony n°1 « In one mouvement », à la tête du London Symphony bien-sûr. Le Maître Britten s’en souviendra, et commandera dans la foulée une œuvre au jeune homme, à destination de « son » festival d’Aldeburgh, posant ainsi la première pierre d’une collaboration qui unira Knussen et le Festival, jusqu’à la fin, puisqu’il y dirige son dernier concert en 2017. Cela dit, le métier de compositeur est un labeur, fait d’un travail au long cours. Pour forger son artisanat, il se forme dans les années 1960 auprès de John Lambert, et s’envole ensuite pour les Etats-Unis et l’Académie de Tanglewood au début des années 1970, pour étudier auprès de Gunther Schuller. Car au fond, qu’est-ce qui fait la patte Knussen, le style si personnel du compositeur ? C’est d’abord un raffinement extrême, poussé dans ses derniers retranchements. Jouant avec les dates limites de rendu des partitions, jusqu’à donner des œuvres en création partielle (ses deux « fantasy operas » par exemple), Knussen apporte un soin du détail tout particulier à ses compositions, rendant ainsi peu d’opus, mais évitant les œuvres moins réussies. En orfèvre des timbres, il ajuste, dose, pèse, cisèle, à l’instar d’un Ravel. Il use ainsi d’un soin extrême des équilibres et de l’harmonie, toujours subtile et personnelle.

La musique de Knussen c’est aussi un parfum doux amère, entre aridité et lyrisme. Le compositeur a peu écrit pour l’opéra. Pourtant, son œuvre est constamment emprunte de vocalité, d’un lyrisme fiévreux. Prise dans un flux mélodique ininterrompu se renouvelant constamment, sa musique « coule », et c’est en cela qu’elle capte aisément l’auditeur. Que ce soit dans sa transparente Cantata de 1977, jusque dans son Requiem de 2006, on saisit en premier lieu l’essence vocale d’une musique intensément dramatique.

Impossible aussi de parler de la musique d’Oliver Knussen sans évoquer sa passion pour les cultures extra-européennes, qui exercent sur lui un puissant pouvoir de fascination. Du faux gamelan balinais, tantôt webernien dans le deuxième mouvement de sa Symphony n°3, tantôt ludique et pur dans ses Two Organas, jusqu’à l’influence du Japon dans sa dernière œuvre achevée, O Hototogisu ! pour soprano, flûte et ensemble, « fragment de japonisme », où il restitue la clarté des haïkus avec fraîcheur et vivacité, notamment au moyen d’une flûte traversière évoquant l’éther du sakuachi.

 

À propos de la création de ce O Hototogisu !, il s’agissait également du dernier concert donné par Knussen, en 2017 au festival d’Aldeburgh. Car au regret de nombreux musiciens qui auraient souhaité de plus nombreuses œuvres de sa part, Knussen était également un chef d’orchestre unanimement reconnu. Une oreille imparable, qui entendait tout, et qui connaissait tout. Se concentrant sur les partitions modernes et contemporaines, il dirigeait sans relâche, la musique de ses amis notamment, comme des affinités électives. Il n’y a qu’à regarder sa discographie, où se croisent joyeusement Benjamin Britten, Julian Anderson, Toru Takemitsu (qu’il fit découvrir à Simon Rattle), James McMillan, Magnus Lindberg, Mark-Anthony Turnage, Harrison Birtwistle, Aaron Copland, Hans-Werner Henze, jusqu’à Eliott Carter (dont il était un véritable champion des œuvres tardives, malgré une musique « qui fait mal à la tête et qui me fait écouter du Satie » selon ses propres dires). Et c’est justement au-travers de ses choix d’œuvres que l’on voit se dessiner ce langage si personnel que l’on évoquait : libre, indépendant, hors des cases et des normes avec un quelque chose de résolument britannique.

 

 

Personnalité liée au Royaume-Uni et à certains lieux en particulier (Snape dans le Suffolk où il résidait, tout près d’Aldeburgh et de son festival, Londres et la Royal Academy où il enseignait, Birmingham et son groupe de musique contemporaine qu’il dirigea tant), Knussen était à la fois un grand passeur, et un mentor. Pour son cadet Mark-Anthony Turnage par exemple, qu’il rencontre lorsque le jeune Mark-Anthony n’a que 16 ans. Il le prend sous son aile, et se trouve être le premier à lui dire « tu seras compositeur, je crois en toi ». Car au contact des souvenirs des uns et des autres, c’est avant tout l’humanité que l’on retient de celui qui détestait qu’on l’appelle autrement que « Olly » (il aimait raconter que lors de sa première rencontre avec Stockhausen, Knussen lui dit « You can call me Olly », et l’autre de répondre « You can call me Stockhausen »). Personnalité attachante, riche et complexe, Olly Knussen était un de ces artistes entiers, humain, inspirant pour toute une génération de musiciens. Le découvrir, lui et son univers de création, est alors bien plus qu’une nécessité mais un véritable élan du cœur.

 

Photos (de haut en bas) : © Betty Freeman / Bridgeman Images ; © Edwin Sampson/ANL/Shutterstock ; © Chris Christodoulou / Bridgeman Images