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Edgard Varèse : “Déserts”.

Grand Angle By Willem Herring, le 19/12/2022

Presque 70 ans après sa création chahutée au Théâtre des Champs-Élysées en 1954, Déserts d’Edgard Varèse reste encore aujourd’hui une œuvre radicale d’une puissance fulgurante. Le public parisien pourra d’ailleurs le constater le 22 janvier à la Philharmonie de Paris. Déserts sera en outre jouée avec le film que le vidéaste américain Bill Viola réalisa spécialement pour l’œuvre en 1994.


Participant d’une recherche inlassable « d’instruments qui aient une voix plus conforme à notre époque », Déserts d’Edgard Varèse est le dernier avatar d’une pièce qui en a connu de nombreux, sous les titres successifs de l’Astronome puis The One All Alone, pièce de théâtre musical spectaculaire de science-fiction en 1928, ou encore Espace — dont une Étude, pour deux pianos, percussions et chœur, voit le jour en 1947.

Cependant, en 1949, Varèse décide de reprendre ses plans pour Espace et d’incorporer dans une nouvelle œuvre, Déserts, les esquisses réalisées à cet effet. Il achève les parties instrumentales de Déserts en 1952. La même année, il reçoit en cadeau un enregistreur à bande, et part à New York faire des enregistrements pour ce qu’il appelle les ‘interpolations’ dans Déserts. Celles-ci peuvent être jouées en alternance avec les parties instrumentales.

La première interpolation est déjà achevée lorsque, en 1954, Varèse retourne à Paris à l’invitation du Club d’essai de la radio française afin de terminer (avec l’aide de Pierre Henry) son travail sur les interpolations. Hermann Scherchen en dirige la première exécution à Paris. Cette exécution, en 1954, suscite de vives réactions. Ce n’est que lors de la deuxième exécution à Hambourg – dirigée par Bruno Maderna, et à laquelle assiste Karlheinz Stockhausen — que Déserts est reçu favorablement.

Initialement, les interpolations étaient enregistrées en mono, mais pour les enregistrements de Déserts que Robert Craft réalise (notamment) en 1960 pour Columbia Records, une version stéréo est créée. En 1965, Varèse donne cette version au compositeur turc İlhan Mimaroğlu, en lui expliquant que les interpolations peuvent également être exécutées en tant qu’œuvre électronique indépendante (tout comme on peut omettre la bande sonore dans Déserts). Jusqu’à sa mort, en 1965, Varèse continuera de modifier les interpolations.

Dans plusieurs interviews, Varèse a déclaré que Déserts incluait des images filmées, pour lesquelles il tenta de susciter l’intérêt de Walt Disney : « L’idée de ce projet est de produire un film d’une conception nouvelle dans sa relation entre les images et le son. (…) Par désert, il faut entendre tous les déserts : déserts de la terre (sable, neige, montagnes), déserts de la mer, déserts du ciel (nébuleuses, galaxies, etc.), et déserts de l’esprit humain. (…) Pour la réalisation de mon projet, la partition sera écrite en premier, puis répétée et enregistrée sur la bande son. (…) La dynamique, la tension, les rythmes (ou plutôt LE RYTHME, élément de stabilité) seront bien entendu calculés avec l’entièreté du film à l’esprit. Le directeur de la photographie se familiarisera avec la partition de manière approfondie. (…) Les images de terre, de ciel et d’eau seront filmées dans les déserts américains : Californie (Vallée de la Mort), Nouveau-Mexique, Arizona, Utah, Alaska : déserts de sable, étendues d’eau isolées, solitudes de neige, gorges désertes et escarpées, routes abandonnées, villes-fantômes, etc. Pour les galaxies d’étoiles, les nébuleuses, les montagnes lunaires, on pourrait utiliser des photographies existantes. Caméra : 35 millimètres, noir et blanc, infrarouge, (couleur si c’est souhaitable,) télescopique. L’ensemble doit évoquer un sentiment d’intemporalité, de légende, de fantasmagorie dantesque et apocalyptique. »

Tout bien considéré, la proposition que fit Le Corbusier à Varèse, en 1958, de créer, à l’invitation de Philips, un poème électronique à l’aide des derniers équipements technologiques du moment, venait à point nommé.

Photos – DR