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Éclairage Par Michael Wendeberg, le 08/11/2018

Michael Wendeberg présente le programme empreint de mystère et de spiritualité du concert Au-delà du 16.11 à la Philharmonie de Paris. Le chef d’orchestre et pianiste allemand retrouvera pour l’occasion l’EIC qu’il a quitté en 2005 mais, cette fois, pour le diriger.

Je l’avoue d’entrée : ce concert est pour moi très spécial. Pour la première fois depuis mon départ de l’Ensemble intercontemporain en 2005, je vais refaire de la musique avec mes anciens collègues ! Lorsque j’ai démissionné de mon poste de pianiste, je suis sûr qu’il n’était pas évident pour beaucoup d’entre eux de comprendre pourquoi je quittais cette institution merveilleuse. Et, même si je suis parti pour me consacrer à la direction, cela n’a pas été sans regret… Mon plaisir de revenir aujourd’hui n’en est que plus grand.
Spécial aussi, car le programme comprend notamment deux pièces dirigées qui me touchent intimement toutes deux. D’un côté, un des chefs-d’œuvre du répertoire français du XXe siècle : Quatre Chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey. On pourrait croire que mon passage à l’EIC m’a familiarisé avec l’univers de ce compositeur et pourtant, non, pas tant que cela : d’abord, parce que je ne suis arrivé à Paris qu’en 2000, donc deux ans après sa disparition prématurée. Ensuite, parce qu’il n’a pas beaucoup écrit pour le piano. Je ne l’ai donc que rarement joué au cours de mon séjour parisien.

 

En revanche, j’ai depuis eu l’occasion de diriger à plusieurs reprises sa musique, dont Vortex Temporum et Quatre Chants pour franchir le seuil qui est sans doute l’une des œuvres du répertoire contemporain qui me prend le plus aux tripes. Grisey y évoque le seuil entre vie et mort avec une musique certes d’une grande richesse, mais qui laisse en même temps un large espace de liberté aux pensées et ressentis de l’auditeur. En ce sens, c’est une œuvre rare et remarquable. Et je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi un compositeur de cinquante ans a écrit une pièce qui parle de la mort, alors qu’il ne pouvait rien savoir de ce qui, hélas, l’attendait.
À la manière des grands monuments symphoniques du XIXe siècle, ces Quatre Chants pour franchir le seuil trouvent leur accomplissement formel dans le dernier mouvement, qui n’est pas sans rappeler un autre des chefs-d’œuvre de Grisey, Le Noir de l’Étoile, dont le développement est guidé par un rythme de pulsar. Et ce n’est qu’en arrivant au terme du voyage que l’on « entend » les trois premiers chants comme les prémisses du dernier.

 

Du point de vue de l’interprète que je suis, c’est une pièce qui ne semble pas poser de grandes difficultés. De prime abord du moins, surtout pour un ensemble de la stature de l’EIC. Le discours est assez détendu, les tempi sont lents. C’est de fait une pièce plutôt facile à déchiffrer. En revanche plus on s’y plonge, plus on trouve matière à peaufiner afin de la faire sonner — notamment à cause de son écriture en quarts de ton. D’autant que les concepts de seuil et de basculement d’un côté à l’autre sont reflétés à divers degrés de la composition. Par exemple, l’ensemble est divisé spatialement. Au milieu de la scène trônent deux tubas et, de part et d’autre, tout est en double : violoncelle à gauche, contrebasse à droite, et ainsi de suite.
Quant à Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele ? de Claude Vivier, c’est un ovni musical. Je ne lui connais rien de comparable. C’est une véritable rencontre avec la mort — et, le plus fou, c’est que la mort décrite est presque exactement celle qui emportera Vivier lui-même : poignardé par un inconnu. Dans le même temps, c’est une musique très spirituelle, presque une musique sacrée.

 

 

C’est aussi une pièce ardue pour le chœur de chambre de 12 voix solistes. Le mariage entre les synthétiseurs et les textures du chœur est excessivement délicat. Mais, quand tout est en place, c’est une pièce d’une beauté presque surnaturelle, en même temps qu’absolument effrayante.

 

Photos (de haut en bas) : © IsabelleMeister / © MichaelSeum