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Vers l’infini et au-delà… Entretien avec Hèctor Parra, compositeur.

Entretien Par David Verdier, le 01/06/2018

Hèctor Parra est sans doute l’un des compositeurs qui s’intéresse le plus à la science, et plus particulièrement à l’astrophysique. Après la théorie des cordes dans Hypermusic Prologue (2008), la courbure de l’univers dans Stress Tensor (2009) ou les « trous noirs » dans Caressant l’horizon (2011) le voici qui s’intéresse aujourd’hui, avec Inscape, aux « mirages visuels » provoqués par les forces gravitationnelles qui « plient » l’univers. S’inspirant des théories de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, il transpose musicalement les forces du cosmos, en utilisant l’électronique comme « lentille déformante ». Une expérience dont le compositeur promet qu’elle sera « comme l’exploration et la traversée d’un trou noir ». Le public pourra le vérifier le 14  juin prochain à la Philharmonie de Paris pour la création française de l’œuvre.

Hèctor, qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la science ?

J’ai toujours été intrigué par les questions d’ordre ontologique que pose notre existence et la lecture d’essais scientifiques m’a apporté quelques réponses. Je suis fasciné par les forces internes des modèles scientifiques de la nature (la relativité générale, la théorie du Big Bang,  la théorie des cordes, etc.). Ces forces structurantes deviennent le moteur de l’architecture musicale pour certains de mes projets. J’essaye de ne pas confondre les formes résultantes avec une approche machiniste, car le tout est bien plus que l’addition de ses parties. La complexité des interactions m’intéresse. La forme liée aux forces, les fonctions biologiques qui sculptent les corps, la courbure de l’espace-temps liée à la présence d’énergie ou de matière… voilà quelques-uns des sujets qui me passionnent.

Comment traduire le titre de votre dernière création : Inscape ?

Une façon de s’échapper à l’intérieur de quelque chose, une sorte de fuite impossible. Ma pièce raconte une expérience extrême, l’exploration et la traversée d’un trou noir avec la sortie de l’autre côté à travers le trou de ver que nous traversons idéalement sans être endommagés par la gravité écrasante. J’ai développé ce projet avec Jean-Pierre Luminet, spécialiste mondial de la physique relativiste, qui avait collaboré avec Gérard Grisey dans Le Noir de l’Étoile. J’avais lu certain de ses livres comme Le Destin de l’univers ou L’Univers chiffonné pour composer Caressant l’horizon, pièce pour 27 musiciens commandée par l’Ensemble intercontemporain en 2011. À cette époque je lui avais montré comment j’avais développé musicalement les ondes gravitationnelles issues de la fusion de deux trous noirs, où le spectre du son orchestral se dilate et se rétracte de manière cyclique. Ainsi, en 2016, pour Inscape, nous avons construit ensemble un schéma narratif : de la vie autoconsciente sur la terre, capable d’imaginer un tel voyage, jusqu’à sa réalisation physique et le mystérieux passage par la singularité annulaire du trou noir en rotation qui nous permet d’accéder à un nouvel univers.

Inscape est une œuvre pour grand orchestre symphonique auquel se mêlent seize solistes (huit au cœur de l’orchestre et huit autres disposés sur les balcons en quatre couples symétriques). L’espace acoustique est rendu malléable grâce à un dispositif électronique développé à l’Ircam  qui nous fait basculer d’un espace-temps plat à un espace-temps courbé, terriblement déformé.

Pourquoi cette nécessité d’écrire pour un ensemble instrumental et un orchestre symphonique ?

Je ne peux pas me contenter d’une bande électroacoustique. Dans ce projet j’ai besoin de donner à ma musique un son physique vivant. Avec l’orchestre, on ressent pleinement ce conflit de forces physiques que je veux exprimer. Les solistes créent des sortes de rugosités acoustiques sur un fond instrumental parfois très lisse. Nous utilisons pour cette pièce le système de spatialisation qui va nous aider à avoir l’illusion d’un vertige acoustique considérable au moment où l’auditeur « tombe dans le trou noir ».

Photos et illustrations : représentation de la courbure de l’espace ©  AlainRiazuelo / Hèctor Parra © Joan Braun /  esquisse de travail pour Inscape © Hèctor Parra / Détail du dispositif de spatialisation d’Inscape à l’Auditori de Barcelone  en mai 2018 / DR