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Franchir les distances – entretien avec Jean-Baptiste Robin

Entretien Par Jéremie Szpirglas, le 15/04/2010

Robin

Organiste et compositeur, Jean-Baptiste Robin achève sa nouvelle partition, Distances, pour
l’Ensemble intercontemporain, donnée en création le 28 mai à la Salle Pleyel dans le cadre des deux concerts « Pierre Boulez, un certain parcours ». Il s’entretient ici avec Jérémie Szpirglas à propos de son écriture personnelle et de sa vision de l’histoire musicale.


Il serait vain d’aller chercher dans son métier d’organiste une quelconque clef d’écoute de sa musique. Jean-Baptiste Robin ne présente aucune des manies habituelles aux organistes compositeurs, du moins pas en apparence : peu ou pas de doublure de voix ni de simili-registration dans ses orchestrations, peu ou pas de longues notes tenues. « Mes organistes fétiches, dit-il, sont des musiciens comme Nicolas de Grigny ou Jehan Alain, des compositeurs dont les œuvres ne sont pas écrites spécifiquement pour l’orgue, et dont la musique reste ouverte. » S’il pratique l’improvisation dans le cadre de ses récitals et de ses fonctions d’organiste (à la Cathédrale de Poitiers et à la Chapelle Royale du château de Versailles), il réserve cette pratique à la performance et veille bien à ce qu’elle n’influence en rien son processus d’écriture. « Je ne -compose jamais à l’orgue. La composition est une sorte de gestation continue, qui me suit partout, en particulier en voyage. L’instrument peut parfois me servir à vérifier une écoute intérieure, mais cela s’arrête là. Quant à l’improvisation, c’est une discipline qui peut être dangereuse. On risque souvent de retomber dans les mêmes formules et de s’épuiser. »
Pourtant, sa première rencontre avec la musique fut avec un orgue – un disque d’orgue de Bach que ses parents, qui ne sont ni musiciens, ni même mélomanes, avaient par hasard dans leur discothèque : « J’ai eu un véritable coup de foudre pour le son de l’instrument – un son au demeurant passionnant pour la création, que je rapproche de l’électronique, ne serait-ce que pour ses particularités dynamiques et ses timbres parfois étranges. »
Pour donner naissance à une expression musicale toujours plus diversifiée, il s’élabore un cadre strict, un fondement immuable à son langage musical, basé sur le concept de symétrie. L’occasion de revenir aux fondations historiques de notre musique, pour trouver une manière bien à lui de traiter le paradigme du chromatisme dans lequel nous sommes peu ou prou enfermés depuis plus de quatre siècles. « Depuis son apparition au XVIe siècle – après plus de trois mille ans d’évolution de la gamme diatonique (à sept sons) depuis la haute antiquité égyptienne –, qu’a-t-on fait du chromatisme ? Après plus de deux siècles de musique tonale, qu’a-t-on fait du ton ? On a essayé de le noyer… tout en continuant de s’en servir ! Notre lexique de base nous vient aujourd’hui encore du chromatisme. Si les sériels l’ont (d’une certaine manière) emprisonné, si les néo-tonaux retournent vers le diatonisme et des extensions d’accords classiques, si les spectraux l’ont mis à l’écart au profit d’une exploration plutôt sonore, nous ne sommes pas près d’en sortir… Seuls les bruitistes et les microtonaux s’en écartent complètement (et encore, ils y reviennent parfois)…
« Quand je travaillais avec George Benjamin à Londres, je me suis amusé à élargir ce concept. La gamme chromatique tempérée n’est finalement rien d’autre que des intervalles symétriquement répétés (symétrie répétitive). Si j’ajoute à cela la symétrie centrale du triton (symétrie réfléchissante) et ma fascination pour les accords (l’harmonie est pour moi comme un paysage, minéral ; un seul accord, bien que statique, contient tout un univers), j’arrive à répartir chaque échelle de sons en trois grandes catégories de modes à symétrie répétitive que j’appelle sous-chromatiques : quatre modes parfaits, quinze modes à symétrie répétitive et vingt-trois modes réfléchissants (avec centre de symétrie, réel ou virtuel). Au-delà de la mathématique, l’exaltation vient des surprises musicales que ces accords me réservent en termes de timbre et de couleur.
« Sur ces échelles, qui me fournissent mes mots, je construis mes phrases,
elles aussi hautement symétriques. Cela peut être verticalement – la hauteur des notes dans un accord –, ou horizontalement – des mélodies circulaires… »
Pendant expressif à la symétrie, l’oxymore est le maître mot de son discours musical. Dans Impulsion pour deux pianos et percussions (2006), Jean-Baptiste Robin veut écrire une pièce à la fois lyrique et aromantique, claire mais non froide, passionnée mais non débordante. Il y parvient en juxtaposant une mélodie emportée et un accompagnement net et sans bavure, sans nuée ni brouillard de pathos. Dans Distances pour ensemble, sa pièce en création le 28 mai prochain à la Salle Pleyel à Paris avec l’Ensemble intercontemporain, il joue sur tous les tableaux : tessitures, dynamiques, timbres… « J’ai voulu des contrastes très prononcés. En termes de dynamique, cela peut s’exprimer par des interventions très franches, dans des registres bien définis d’une part, mêlées d’autre part à du flou, comme des entrées très légèrement décalées rythmiquement. J’aime jouer avec des styles d’écriture distants les uns des autres et créer ainsi, grâce à ces distances, une émotion. Dans la juxtaposition de deux états opposés, c’est l’espace entre les deux qui m’intéresse, cet entre-deux poétique que l’on meuble à l’envi. Comme ce hiatus suspendu qu’il y a entre un puissant accent et le tapis sonore pianissimo qui suit immédiatement… »
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
Extrait d’Accents n°41 – avril-août 2010

Photo : Jean-Baptiste Robin © Elisabeth Schneider