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[solo] Gilles Durot : Études d’impacts

Portrait Par Antoine Pecqueur, le 15/01/2009

Durot

Gilles Durot est entré à l’Ensemble intercontemporain en 2008, à tout juste vingt-quatre ans. Depuis, il vit pleinement sa passion pour l’univers si contemporain de la percussion et participe étroitement au travail de création. D’un tempérament ouvert et engagé, Gilles Durot souhaite avant tout « faire partager au plus grand nombre l’excitation de la musique contemporaine ».
Rendez-vous le 15 mars à la Cité de la musique pour l’entendre dans des œuvres de Steve Reich, Gérard Grisey et Philippe Hurel, dont il interprétera en « solo » les virtuoses Loops II pour vibraphone.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans les percussions ?
J’ai commencé très jeune – à l’âge de cinq ans – les percussions et la batterie à l’école de musique de La Teste-de-Buch, dans le bassin d’Arcachon. Au départ, j’ai simplement suivi mon frère qui jouait déjà de ces instruments. Un an après, je me suis également mis au piano. En toute logique, les claviers sont devenus mes instruments préférés, puisqu’ils combinent le piano et les percussions. Pour autant, je n’ai pas voulu me spécialiser dans un seul type d’instruments, préférant découvrir, lors de mes études au Conservatoire de Bordeaux, toute la famille des -percussions.
Au Conservatoire de Paris (CNSMDP), vous avez étudié avec Michel Cerutti, soliste à l’Ensemble intercontemporain. Qu’y avez-vous appris ?
Je suis toujours élève de Michel Cerutti en dernière année de perfectionnement concertiste du CNSMDP ! Je pense que Michel a été pour moi le complément parfait de l’enseignement que j’avais eu à Bordeaux. J’ai beaucoup appris avec lui, notamment sur l’évolution des techniques de jeu et la liberté musicale de l’interprétation. J’ai également apprécié de pouvoir travailler avec les assistants : Daniel Ciampolini, un ancien de l’Ensemble intercontemporain, qui connaît parfaitement les traits d’orchestre du XXe siècle ; Eric Sammut, un vrai spécialiste du marimba ; et Florent Jodelet, qui m’a incité à aller rencontrer des compositeurs.
Que ressent-on à jouer dans le même ensemble que son professeur ?
C’est forcément une situation un peu particulière au tout début. Mais il m’a très vite mis en confiance. Il faut dire aussi que Michel a vraiment deux personnalités distinctes : au conservatoire, il est dans son rôle de professeur, assez strict. Alors qu’à l’Ensemble, il est très ouvert, toujours agréable. Je l’ai véritablement découvert en intégrant l’Ensemble.
Peut-on parler d’une école française de percussions ?
L’école française a pour particularité d’être surtout tournée vers la musique contemporaine. Alors qu’aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, l’apprentissage est davantage tourné vers la culture de l’orchestre symphonique. En France, le travail d’orchestre s’apprend sur le tas. À mon sens, l’enseignement dédié à ce type de répertoire reste trop anecdotique au CNSMDP.
Vous-même, avez-vous joué des percussions dans des orchestres symphoniques ? Est-ce un rôle frustrant ?
J’ai souvent joué en tant que musicien supplémentaire dans les orchestres de Radio-France (Orchestre National de France, Orchestre Philharmonique de Radio-France) ainsi que dans les orchestres nationaux de Bordeaux Aquitaine et des Pays de la Loire. Ce n’est pas du tout frustrant, même si on ne donne parfois qu’un coup de cymbales dans toute une œuvre ! On prend du plaisir à être au milieu de l’orchestre, à écouter les autres musiciens. Mais il faut savoir que les cymbales ou le triangle exigent une véritable technique, que possèdent souvent davantage les vieux briscards des orchestres que les jeunes étudiants.
Votre spécialité, ce sont les claviers. Pouvez-vous nous présenter cette famille d’instruments ?
Il y a deux sortes de claviers. D’une part, ceux fabriqués en bois : le xylophone, à la sonorité claire et très directe, et le marimba, aux origines plus lointaines et au son large et coloré. D’autre part, il y a les claviers en métaux, en particulier le vibraphone, dont l’emploi provient du jazz. C’est pour moi le plus complet des claviers, à la fois soliste et accompagnateur. Ce qui me plaît avec les claviers, c’est qu’ils inversent la tendance des instruments de percussions : ils sont plus mélodiques que rythmiques.
Quelles sont, pour vous, les œuvres de percussions marquantes de la littérature contemporaine ?
Le Marteau sans maître de Pierre Boulez a véritablement révolutionné l’écriture pour percussions. Dans toutes les œuvres de Boulez (notamment Dérive 2, sur Incises, Répons), les parties sont très difficiles mais toujours jouables, et surtout, elles sonnent magnifiquement ! Pour les instruments à peau, les pièces de Iannis Xenakis (Rebonds, Psappha) sont fondamentales. Les timbales sont, pour leur part, à l’honneur dans les Huit Pièces d’Elliott Carter, qui utilisent toutes les possibilités de l’instrument, de même qu’une œuvre plus récente, Études d’impact de Yan Maresz, qui va je pense devenir une pièce incontournable du répertoire pour timbales solo. Côté claviers, Le Livre des claviers de Philippe Manoury est inévitable. Pour le vibraphone plus spécifiquement, Omar de Donatoni et Loops II de Philippe Hurel sont des références. Pour le marimba, je citerai la pièce Moi, jeu… de Bruno Mantovani qui exploite réellement toutes les capacités de l’instrument. Certaines pièces sont également destinées à toutes les familles de percussions, comme Assonance VII de Michael Jarrell, qui joue avec poésie sur les effets de résonance.
Quelle est l’attitude des compositeurs -actuels face aux percussions ?
L’instrumentarium de percussions est tellement riche qu’ils ont parfois du mal à choisir. Je remarque cependant que, de plus en plus, les compositeurs se tournent vers les claviers pour développer une écriture polyphonique. Les instruments exotiques (steel-drums, derbouka, udu, tablas…) apparaissent également davantage. De mon côté, j’ai travaillé étroitement avec Yann Robin, qui a écrit Chaostika à mon intention, pour percussions et électronique. La rencontre avec un compositeur est enrichissante car elle oblige à se poser des questions qui lient étroitement technique et son : comment obtenir telle sonorité ? quel est le mode de jeu le plus approprié pour tel effet ?

Jouez-vous d’autres styles de musique ?
Jazz, rock, variété… J’ai eu des expériences diverses aussi bien en piano qu’en batterie et percussions. J’ai même eu un groupe de ska ! Je pense qu’il est essentiel de puiser dans toutes les musiques et d’élargir ainsi son horizon. C’est forcément bénéfique : on est le reflet de ses expériences passées ! Dans cette optique d’ouverture, j’ai récemment fondé un trio avec deux partenaires et amis : l’accordéoniste Anthony Millet, spécialisé dans le répertoire contemporain mais aussi excellent joueur de tango et de musiques du monde, et un autre percussionniste, Bachar Khalifé, jeune prodige des percussions orientales également reconnu dans le milieu classique. Nous sommes un groupe dédié à la musique contemporaine et à la création qui tire au mieux parti des musiques actuelles et des musiques traditionnelles. J’apprécie par ailleurs que l’Ensemble intercontemporain développe de plus en plus des projets tournés vers les musiques actuelles, comme c’est le cas du concert avec Dave Liebman le 12 mars prochain.
Comment vous répartissez-vous le travail entre les trois percussionnistes de l’Ensemble ?
Pour les œuvres que l’Ensemble a déjà interprétées, je reprends en général les parties que jouait mon prédécesseur, Vincent Bauer. Pour les pièces nouvelles, nous allons ensemble voir les partitions à la bibliothèque de l’Ensemble pour déterminer la partie que chacun préfère jouer. En général, je privilégie les parties de claviers. Par ailleurs, avec mon collègue Samuel Favre, nous allons jouer, en mars, en duo de percussions. Ce sera ma première réelle expérience de musique de chambre au sein de l’Ensemble.
Le jeu du percussionniste a-t-il aussi un aspect théâtral ?
En percussions, le visuel est quasiment aussi important que la musique elle-même. Il y a des pièces qui sont de véritables shows, comme celles de Xenakis, Kagel ou Drouet. En général, quand on donne un coup de fouet ou qu’on secoue des maracas, il faut éviter de le faire en restant caché derrière son pupitre. Le public veut savoir d’où vient le son. Mais il faut savoir rester toujours calme et posé, même lorsqu’il y a des changements rapides d’instruments et de baguettes, afin de ne pas nuire à la musique par une trop grande activité.
Après une année passée au sein de -l’Ensemble, vous sentez-vous intégré ?
Complètement ! Je pense que l’intégration y est plus facile que dans un grand orchestre symphonique. Nous ne sommes que trente et un, donc tout le monde se connaît. Par ailleurs, l’avantage, c’est que nous sommes tous sur le même plan, avec le même contrat de soliste. Notre directrice musicale, Susanna Mälkki, m’a mis à l’aise très rapidement. L’Ensemble se révèle être une expérience autant humaine que musicale.
Propos recueillis par Antoine Pecqueur
Extrait d’Accents n° 37
– janvier-mars 2009
Photo : Gilles Durot © Nicolas Havette