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[solo] Jérôme Naulais, trombone

Portrait Par Bruno Serrou, le 15/01/2003

Un savant fou, un prince musicien, une machine à musique qui s’emballe, tels sont les ingrédients du conte musical composé par Jérôme Naulais sur un livret d’Ivan Grinberg, pour ensemble et chœur d’enfants, qui sera donné à la Cité de la musique le 11 janvier prochain. Bruno Serrou nous livre le portrait d’un soliste de l’Ensemble intercontemporain, passionné de trombone, de jazz et de composition !

Vous êtes, avec Michel Cerutti, Alain Damiens, Jean-Jacques Gaudon et Benny Sluchin, l’un des cinq membres en activité au sein de l’Ensemble intercontemporain depuis sa fondation par Pierre Boulez en 1976. Ne craignez-vous pas la lassitude ou la routine ?
Non, parce que je m’investis pleinement dans la création, soit avec mon trombone dans l’Ensemble, soit avec mon crayon, ma gomme et mon papier. J’aime toutes sortes de musique : jazz, variétés, classique, contemporaine, pourvu que ce soit de la bonne musique avec un grand « M ».

Qu’entendez-vous par « bonne musique » ?
Une musique qui possède une construction, une élaboration, une interprétation, une ambiance, enfin plein de bonnes choses ! Tout ce qui est un peu travaillé, recherché, et que l’on trouve, en fait, dans toutes sortes de musiques. J’ai donc toujours été à l’affût, depuis mes études au Conservatoire de Paris.

Vous avez aussi travaillé dans toutes sortes d’orchestres.
J’ai commencé comme trombone solo dans un orchestre symphonique, l’Orchestre National d’Ile-de-France. J’ai ainsi pu jouer tout le répertoire classique, ce qui m’a beaucoup enrichi. J’ai travaillé à l’Orchestre Colonne à l’époque de Pierre Dervaux – un chef à la superbe personnalité –, ainsi qu’avec Jean Fournet. Le professeur qui m’a fait entrer dans le métier, Marcel Galiègue, était lui-même trombone solo à l’Orchestre de Paris. Grâce à lui, j’ai fait quantité de remplacements à l’Orchestre de Paris sous la direction de très grands chefs, ainsi qu’avec le Philharmonique de Radio France. J’ai joué avec Giulini, Böhm, Solti, Celibidache, Mehta, Maazel… Mais j’ai fini par me lasser. Alors qu’après vingt-six ans à l’Ensemble intercontemporain, je ne suis toujours pas fatigué. Parce que si le trombone est assez bien traité dans les grandes pages du répertoire, il n’a tout de même pas la même diversité que dans la création et dans la musique contemporaine. Côté jazz, j’ai notamment remplacé pendant deux ans le trombone du big band de Claude Bolling, entre 1974 et 1975.

Comment êtes-vous venu au trombone ?
Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père était petite clarinette solo à l’Orchestre de la Garde républicaine. Dès mon plus jeune âge, ma mère me traînait sur les bancs des concerts de la Garde, qui donnait essentiellement des transcriptions, et j’ai été spontanément attiré par le trombone. Mon père m’a rapidement mis à la musique et m’a fait commencer par le violon. Il a eu raison, parce qu’à travers cet instrument, c’est le répertoire, le patrimoine que l’on découvre. J’ai fait cinq ans de violon, puis, en âge de commencer, je me suis tourné vers le trombone.

Quel est l’âge requis pour aborder le trombone ?
Aujourd’hui, il est possible de commencer très tôt, puisqu’il existe des « demis ». Lorsque j’avais douze ans, j’étais encore assez petit, et on ne trouvait pas alors de trombones dotés d’un système de valves, si bien qu’il fallait avoir une longueur de bras apte à atteindre la septième. J’ai donc commencé à treize ans. Ayant fait du violon et déjà acquis une culture musicale, je suis rapidement entré au Conservatoire de Paris, où j’ai obtenu mon Prix bien avant mon service militaire. A mon retour de l’armée, j’ai continué mes études musicales, parce qu’il me paraissait inconcevable de faire de la musique sans pouvoir l’analyser et comprendre l’harmonie. J’ai pris des cours privés et j’ai été admis au Conservatoire dans la classe de Pierre Revel, puis d’Alain Bernaud qui lui avait succédé.

Auprès de qui avez-vous étudié la composition ?
Je suis un vrai autodidacte. J’ai des armoires entières remplies de partitions, et mon dada quand j’étais plus jeune était d’écouter des disques et de suivre sur les partitions pour voir comment cela fonctionnait. J’ai également travaillé le jazz en écoutant les big bands et en lisant les orchestrations des grands orchestrateurs américains tels que Stan Kenton. J’étais passionné ! Mais la priorité restait ma carrière de tromboniste.

Pourquoi cette volonté de vous consacrer avant tout au trombone ?
Cela fait une dizaine d’années que je me suis mis plus intensément à la composition et, il est vrai, c’est essentiellement à l’Intercontemporain que je joue actuellement du trombone, même si je m’occupe d’une association de musiciens amateurs, l’Orchestre d’harmonie de La Poste. En fait, tous les instruments à vent me passionnent.

Travailler régulièrement avec les compositeurs vous incite-t-il à vous consacrer davantage à la composition ?
Je crois qu’aujourd’hui encore ma vie de musicien consiste avant tout à jouer d’un instrument. En ayant souvent l’occasion de travailler en osmose avec les compositeurs, je suis comblé, parce que je pratique la création à la fois moi-même, comme compositeur, et comme interprète à l’Ensemble. Si je jouais pour la énième fois le Boléro de Ravel, je n’aurais pas cette envie gloutonne de découvrir toujours la musique nouvelle. Or, depuis vingt-six ans, une large part des concerts de l’Ensemble comporte une pièce nouvelle en création, en première française ou faisant son entrée au répertoire de l’Ensemble. On l’apprécie plus ou moins, mais elle est là. Et c’est cette curiosité qui m’anime.

Vous avez été pendant dix-huit ans directeur du conservatoire municipal de Bonneuil-sur-Marne. L’enseignement et les contacts avec les jeunes musiciens vous intéressent donc depuis longtemps. Cela vous a-t-il conduit à écrire l’œuvre que vous a commandé l’Ensemble intercontemproain ?
J’ai quatre enfants, et j’ai composé quantité de pièces pédagogiques. Directeur d’établissement, j’ai eu le temps de voir vivre les enfants dans une école de musique. Je me suis ainsi aperçu qu’associer des enfants des classes de formation musicale à des projets donnait une impulsion supplémentaire à un spectacle et sensibilisait les parents davantage que les concerts de musique purement instrumentale. Ce projet pédagogique est le quatrième que réalise l’Intercontemporain avec des solistes de l’Ensemble, après Frédéric Stochl, contrebasse, Christophe Desjardins, alto, et Daniel Ciampolini, percussion. Une des particularités de cette pièce est de ne pas être un montage d’œuvres mais de constituer un véritable projet pédagogique, associant un chœur d’enfants qui participe au conte écrit par Ivan Grinberg.

Qui vous a soumis le sujet ?
Grinberg lui-même. Je lui ai fait entièrement confiance. Je pense qu’il faut respecter l’idée du poète, à partir du moment où elle est intéressante et originale. D’autant plus que, dans son cas, elle est particulièrement musicale. J’ai donc laissé Ivan totalement libre de son cheminement.

La musique que vous avez écrite…
… J’ai décidé de l’effectif, j’ai trouvé intéressant de faire appel à des instruments à vent. Mais il fallait à tout prix que les effectifs ne soient pas trop lourds, car nous avons bien l’intention de présenter ce spectacle un peu partout. Ce projet intéresse en effet les rectorats d’Académies. Pour que les enfants puissent travailler plus facilement, j’ai écrit une partie de piano, qui reste en l’état lors des concerts, les instruments à vent venant s’y ajouter. Pour l’aspect ludique, j’ai ajouté des percussions. Chaque instrument à vent de l’Ensemble est donc représenté, de la flûte au tuba, soit au total huit vents. Les deux percussionnistes disposent chacun d’un petit atelier, dont trois timbales.

Quel est le « style » Jérôme Naulais ?
Je pense qu’il y a clairement un rapprochement entre la musique que l’on joue à l’Intercontemporain et le jazz d’aujourd’hui. C’est vraiment une rencontre que j’apprécie particulièrement. Lorsque l’on écoute Répons de Pierre Boulez, les rythmes des cuivres peuvent être apparentés à des rythmes jazz. Je me souviens d’ailleurs d’une réflexion de Boulez au cours de la première lecture de l’œuvre en 1980 – réflexion qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : « Jouez comme les jazzmen actuels », avait-il lancé. J’essaie aussi des harmonies que je trouve extraordinaires, avec cette avancée de tous les modes apportés par le jazz. J’ai balayé d’un revers de main l’harmonie classique que j’ai étudiée pendant quatre ans lorsque j’ai découvert le jazz au Conservatoire.

Quelle impression cela vous fait-il d’être joué par vos camarades ?
Cela ne m’est pas souvent arrivé ! En fait, pas depuis 1984 avec Labyrinthe pour cuivres. Ce sera aussi la première fois que je dirigerai mes collègues.

Quelle est l’histoire ?
Il s’agit d’un vieux musicien de la cour d’un roi ; celui-ci a décidé de s’en séparer et d’engager un ingénieur pour fabriquer une machine à composer – clin d’œil à l’Ircam ! Les enfants ont pas mal de choses à faire, non seulement chanter, mais aussi parler, crier, lancer des interjections. Pour le reste, à vous de le découvrir…

Propos recueillis par Bruno Serrou