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[solo] Daniel Ciampolini, percussion

Portrait Par Bruno Serrou, le 15/04/2000

Le percussionniste Daniel Ciampolini tiendra la partie de vibraphone solo dans la prochaine création de Philippe Hurel qui sera donnée à la Cité de la musique, le 18 avril prochain. Bruno Serrou nous livre un portrait de cet artiste bouillonnant d’idées, qui vient à la fois de la culture classique et du monde du jazz et de la variété.
 
Daniel Ciampolini, comment êtes-vous venu à la percussion ?
J’y suis venu par la batterie. J’ai toujours baigné dans la musique : ma mère était chanteuse d’orchestre, elle interprétait les standards de jazz, bossa-nova, tango, chanson française ; mon père, qui était pianiste de cabaret, possédait son propre orchestre. Ma culture musicale originelle est donc celle du jazz, de la variété, des musiques populaires. Très tôt, j’ai appris à jouer de la batterie, si bien que ma mère m’a inscrit, à neuf ans, au conservatoire de Nice dans la classe de percussion. La découverte de la percussion m’a fasciné, mais je continuais la batterie. Puis, j’ai quitté Nice pour Paris, où je me suis installé pour poursuivre mes études au Conservatoire, tout en travaillant et en me produisant avec mon père. C’est ainsi que j’ai accompagné des artistes comme Mouloudji, Isabelle Aubray ou le Golden Gate Quartet. Cette expérience unique du cabaret m’a été très instructive.
 
Y a-t-il obligation de se spécialiser ?
Il y a deux sortes de percussion : la percussion occidentale, enseignée dans les conservatoires, qui permet de jouer sur des instruments développés depuis quelques décennies par les facteurs européens – timbale, xylophone, marimba, vibraphone, et tous les accessoires – , et les percussions plus ethniques qui ont une histoire remontant beaucoup plus loin que celle de notre musique savante. Chaque percussionniste de l’Ensemble a son propre centre d’intérêt, sa spécialité. Pour Michel Cerruti, c’est le cymbalum. Vincent Bauer a appris les tabla, qu’il joue avec la vraie technique, et il se lance dans le steel drum. Quant à moi, mes instruments de prédilection sont le vibraphone et la batterie, les instruments qui, physiquement et rythmiquement, me procurent le plus de plaisir.
 
Pour des œuvres comme celles de Steve Reich, qui répètent à l’infini thèmes et rythmes, le tout évoluant imperceptiblement sur de longues durées, comment faites-vous pour ne pas attraper de crampes ?
Ce n’est pas le problème essentiel. Il s’agit avant tout d’une concentration différente. J’ai l’avantage d’avoir fait de la batterie et joué beaucoup de musique répétitive, ce qui peut me favoriser pour ce type de répertoire. Ce que demande Reich est si particulier qu’il a constitué son propre groupe. Cette musique est tout autre que celle que l’on joue généralement à l’Ensemble et demanderait donc un travail de répétition adapté. Il s’agit en effet d’une autre culture du rythme qui s’apparente davantage à celle du jazz et des traditions ethniques. L’important dans cette musique, c’est le tempo, et une extrême précision rythmique. Ce que j’apprécie dans l’œuvre de Reich est qu’elle me fait penser à des moments que je rencontre dans la nature, un coucher de soleil ou un nuage qui se transforme peu à peu, en un mouvement si lent qu’il est pratiquement imperceptible. Dans ces musiques répétitives, comme dans la techno, et, d’une certaine manière, comme dans le théâtre nô, le temps s’écoule beaucoup plus lentement.
 
Que pensez-vous de la techno ?
De quelle techno parlez-vous ? De celle qui est faite par des analphabètes de la musique, ou de celle qui est faite par des personnes qui ont une réelle sensibilité musicale et qui sont, pour certains, de vrais petits génies de la bidouille ? La techno « primaire » est évidemment stupide, et n’a nulle part ailleurs son égal dans la bêtise. A qui la faute ? L’enseignement musical, dans nos sociétés, est lui aussi stupide ! Mais, plus généralement, les musiques populaires ont un rôle autre que celui d’être, oui ou non, intéressantes musicalement. On s’en fiche ! Je crois vraiment qu’il ne faut pas les juger par rapport à leurs contenu musical (encore que…). Leur raison d’être, et ce qu’elles apportent à une société, est ailleurs. S’agissant de la techno, il est certain que lorsque vous nous posez cette question, à nous, musiciens, qui connaissons très bien notre métier, vous obtiendrez presque toujours la même réponse, bien compréhensible, à savoir que « cette chose est dégradante pour l’art musical, quand ça n’est pas pour la société tout entière, et qu’elle est réservée à des primates ». Eh bien soit ! Au risque de me contredire, je revendique le droit, de temps à autre, d’être un primate ; en tant que tel, il y a des moments dans la vie où certaines musiques techno sont bien plus appropriées qu’une musique savamment construite et, toujours dans ces moments-là, elles peuvent avoir une efficacité bien plus grande que n’importe quel chef-d’œuvre de la musique du XXe siècle !
 
Avoir tous les goûts n’est-ce pas ne pas avoir de goût du tout ?
Peut-être… mais ça m’est égal. En fait, je crois plutôt que c’est très enrichissant. Je pense être un privilégié, puisque je peux passer naturellement d’une musique à l’autre, écouter une musique et l’autre dans la même journée, les comprendre et les aimer toutes deux.
 
Au Conservatoire, quels instruments avez-vous plus particulièrement travaillé ?
Les claviers m’ont très vite intéressé, particulièrement le vibraphone. Mais comme le répertoire était des plus restreints, je m’amusais à faire du jazz. Le vibraphone manque tragiquement de littérature. Que faire si l’on veut en jouer ? Des adaptations de partitions de Bach, ou improviser !
 
Les trois octaves dont dispose le vibraphone vous suffisent-elles ?
C’est un peu limité. Je rêve depuis longtemps d’un instrument de trois octaves et demi descendant jusqu’au do, alors que le vibraphone n’atteint encore que le fa. Mais Yamaha a proposé à l’Ensemble un prototype de trois octaves et demi que nous venons d’essayer à l’Ensemble. Apprenant cette éventualité voilà un an, j’en ai parlé à Philippe Hurel, qui utilise cet instrument soliste dans sa dernière œuvre. J’ai également averti un autre compositeur, Ed Campion, qui, après avoir signé une pièce pour vibraphone et bande, souhaitait écrire un morceau pour vibraphone et piano. Je suis en effet convaincu que ce vibraphone va très vite devenir le nouveau standard, de même que la clarinette basse avait étendu son registre dans les graves, il y a une trentaine d’années.
 
Compte tenu du nombre impressionnant d’instruments à percussion, les compositeurs ne peuvent tout connaître. Travaillez-vous régulièrement avec eux, et sont-ils en situation de demande ?
Pas assez, hélas. Les compositeurs viennent généralement nous voir après avoir tout écrit, si bien que l’on découvre les problèmes a posteriori. Ils oublient souvent qu’une partition peut regorger de problèmes ergonomiques, qu’ils refusent souvent de prendre en compte, négligeant l’encombrement des instruments, les changements de baguette. Le percussionniste se retrouve alors comme dans une cage, se débattant comme il peut avec trente-six baguettes et quinze instruments ! Il se trouve heureusement quantité de compositeurs assez ouverts pour venir volontiers nous voir, suffisamment en amont. Il m’est par exemple arrivé de travailler avec Marco Stroppa sur l’une de ses partitions nouvelles. Avec Philippe Hurel, c’est la même chose. Il m’envoie des ébauches pour que je m’assure qu’il n’a pas écrit quelques traits injouables. De même avec Ed Campion. De telles attitudes tendent à se développer, grâce notamment à des professeurs comme Michel Cerruti, qui, au Conservatoire de Paris, accueille des élèves des classes d’orchestration pour leur parler percussion, leur montrer les divers problèmes qu’elle engendre, son encombrement, leur expliquer ce qu’est une timbale, un xylophone, un changement de baguette, etc. Les percussions se situent vraiment à part de l’instrumentarium courant, et il est indispensable que les orchestrateurs les étudient plus à fond.
 
Travaillez-vous avec l’Ircam et/ou avec des compositeurs qui écrivent pour percussion et électronique ?
Pour le moment, la littérature pour ce type d’association est plutôt limitée. Il y a en effet peu d’œuvres pour percussion et électronique. Pour ma part, j’ai réalisé une version pour percussion électronique et spatialisée de Psappha de Iannis Xenakis. L’une des particularités de cette partition est que Xenakis laisse au percussionniste le choix des timbres, se contentant d’indiquer les familles instrumentales. Ce qui est fantastique parce que l’on peut utiliser a priori tout ce que l’on veut, casseroles ou galets de plage ! Mais chaque fois que j’ai entendu Psappha, c’étaient les mêmes grosses caisses, toms, tumbas et autres métaux. Dans les années 1980, j’ai commencé à m’intéresser aux premiers « pads » électroniques, une sorte de batterie sans caisse de résonance reliée à un synthétiseur. Ils n’étaient pas très satisfaisants, mais j’ai très vite songé à l’utilisation que je pourrais en faire avec Psappha. Dix ans plus tard, la technologie ayant évolué, j’ai proposé à l’Ircam de collaborer à mon projet. L’Ircam a accepté mon entreprise, et Xenakis m’a donné carte blanche après avoir entendu les premiers essais. Je cherchais à obtenir des variations de timbres et d’espace à l’image des évolutions métriques dans les vers de la poétesse Sappho (dont le nom archaïque est précisément Psappha) : des variations plus ou moins perceptibles, allant au-delà du rythme, et suscitant une véritable poésie du timbre et de l’espace. Cette version, créée il y a trois ans à la Cité de la musique, ne me paraît pas encore totalement satisfaisante, car j’estime ne pas être parvenu au bout des possibilités de l’œuvre.
 
Propos recueillis par Bruno Serrou