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Musique à l'université : une « oxygénation » par les interprètes !

Grand Angle Par Pierre Michel, le 15/01/1999

Comment intégrer la musique contemporaine à l’ensei­gnement de la musicologie ? En invitant les interprètes à l’Université, nous répond le musicologue Pierre Michel. Témoignage en forme de manifeste d’un enseignant, éga­lement responsable du département de musicologie de l’Université de Strasbourg.
 
La musicologie en France demeure aujourd’hui essentiellement attachée à une conception historique et souvent concentrée sur les musiques du passé. Les départements de musique des universités favorisent avant tout la prise en considération des « sources », c’est-à-dire de tout ce qui a été écrit sur un sujet donné. En matière de musique contemporaine, chacun sait cependant que les livres et articles sont relativement rares ou disparates, spécialement en France. Le problème majeur de l’enseignement dans les premières années de l’université, et même dans les degrés plus avancés comme la licence, les concours (CAPES, Agrégation) ou la recherche (Maîtrise, DEA, Doctorat), en ce qui concerne les musiques d’après 1945, réside dans le manque d’assimilation ou de compréhen­sion des étudiants. Il me semble qu’une phase de ces acquisitions peut passer par un contact direct avec la musique contemporaine, qui soit d’une autre nature que l’analyse ou le concert.
Mon expérience de pédagogue au Conservatoire National de Région de Strasbourg, puis à l’Université de Metz, m’a conduit à envisager de plus en plus l’enseignement de la musique contemporaine comme un travail partiellement interdisciplinaire. J’ai en mémoire une séance d’histoire de la musique au CNR de Strasbourg avec Klaus Huber, en 1992, au cours de laquelle nous avions abordé les techniques instru­mentales utilisées dans le Concerto pour violoncelle en forme de « pas de trois » de Bernd Alois Zimmermann. Une étudiante violon­celliste, très enthousiaste à la sortie de cet atelier, m’avait affirmé avoir appris autant en quelques heures, à propos de ce type de musique, que pendant plusieurs mois avec son professeur d’instru­ment. Cette remarque montre bien l’étendue d’un problème incon­testable dans la musique d’aujourd’hui : les techniques instrumentales (ou vocales) et notations sont si nombreuses et parfois si com­plexes que l’instrumentiste (ou le musicologue) ne peut parfois plus se représenter (ou entendre intérieurement) le résultat produit en définitive. Cette constatation ne doit pas amener le musicologue à écarter l’œuvre pour autant (c’est une solution de facilité trop cou­ramment retenue !), mais l’inciter à adopter d’autres comportements.
 
Il me semble peu souhaitable aujourd’hui de travailler la musique contemporaine « en vase clos ». J’estime par ailleurs assez ridicule d’enseigner la musique vivante comme une matière académique… C’est pourquoi, depuis plusieurs années, je m’efforce de favoriser les rencontres avec des compositeurs ou les échanges avec les ensembles spécialisés au sein des structures d’enseignement.
L’Université de Metz a ainsi accueilli à deux reprises, pendant l’année 1996-1997, le violoncelliste Pierre Strauch et le clarinettiste Alain Billard, qui ont participé à des cours « généraux » sur les techniques instrumentales et abordé deux œuvres données en concert ensuite : la Sonate pour violoncelle seul de Zimmermann et Aus Bebung, pour violoncelle et clarinette basse, de Michael Jarrell. Ces cours, réalisés sous forme d’échanges entre enseignants et interprètes, s’adressaient à tous les étudiants, sans distinction de niveau ou d’année. Un autre type de cours était destiné aux élèves-instrumentistes du Diplôme Universitaire de Pédagogie Musicale (DUPM) qui travaillaient à deux reprises des pièces contemporaines choisies à l’avance avec les deux solistes de l’Ensemble. Un troisième type d’intervention résidait dans la table ronde publique organisée dans un amphithéâtre, à propos des nouvelles techniques instrumentales, avec illustrations concrètes par les deux musiciens. Enfin, il semblait essentiel de compléter l’approche pédagogique par un concert, afin de replacer ce travail dans un cadre artistique véritable. Les deux solistes avaient choisi un programme assez dense et sans concessions, composé des deux œuvres déjà citées, ainsi que de pièces de Xenakis, Harvey et Dusapin.
La seconde opération, menée cette fois avec la flûtiste Sophie Cherrier et le pianiste Florent Boffard, en mai 1998, avec un concert à l’Arsenal, a montré qu’un travail progressif et soutenu débouchait facilement sur l’intérêt assez large du public. D’une part, les séances de travail organisées avec Sophie Cherrier ont ouvert l’Université à des publics divers et notam­ment aux professeurs du CNR. D’autre part, le concert à l’Arsenal – pré­sentant la Sonatine pour flûte et piano de Pierre Boulez, Eolia de Philippe Hurel, la Sequenza I de Luciano Berio, la Sonate n° 2 pour flûte et piano de Prokofiev et deux extraits des Images de Debussy – fut un succès plus pro­noncé que celui de l’année précédente.
Malgré les résistances rencontrées auprès du monde étudiant, il semble que ce type de partenariat soit finalement tout à fait fructueux et permette d’intégrer la réflexion sur les musiques contemporaines à l’enseignement universitaire de façon plus naturelle et parfois plus profonde que les cours magistraux. Il apporte un équilibre qui m’est cher entre la pure abstraction musicologique et le monde sonore.
L’avenir montrera sans doute qu’un modèle d’enseignement (et de dif­fusion) de la musique contemporaine pourrait être articulé autour de cette « oxygénation » extérieure, de ces résidences si nécessaires dans un cadre universitaire souvent par trop scolaire et académique aujourd’hui.
 
Pierre Michel