Afficher le menu

Piano solo : Florent Boffard

Portrait Par Véronique Brindeau, le 15/02/1998

Le pianiste Florent Boffard est l’un des solistes du cycle Stockhausen, à partir de mars 98 : Kontakte, Refrain, Gruppen, le Klavierstück VII… et le redouté Klavierstück X.
 
Vous avez une participation importante dans ce cycle consacré à Stockhausen : comment vous y êtes-vous préparé ?
J’attendais depuis longtemps d’explorer l’œuvre de Stockhausen plus profondément à l’Ensemble. L’occasion ne s’était pas encore présentée pour moi d’y plonger. J’étais donc très content, en début de saison, d’apprendre ce qui allait se passer, et je me suis jeté à corps perdu dans le Klavierstück X, le plus redoutable peut-être. La préparation tient un peu d’un gouffre dont on ne voit pas le bout ! Cela donne quelques sueurs froides, qu’on finit par surmonter, mais au bout d’un long temps de travail.
 
Beaucoup de préparation, et des œuvres toujours nouvelles : cela ne pose pas de problèmes ?
La programmation de l‘Ensemble nous amène effectivement à voir un grand nombre de partitions. C’est assez lourd pour tous les instrumentistes, sans doute, mais particulièrement pour le piano. Cela demande toujours un long temps de préparation, sauf pour quelques pièces, mais c’est très rare. Le fait de découvrir est en lui-même un plaisir. Il reste que, pour certaines pièces, cela nécessite beaucoup de travail personnel. Il faut même parfois anticiper très fortement ! Les techniques sont souvent inconnues encore – mais de moins en moins, puisque je pense avoir acquis davantage, maintenant, une certaine familiarité avec le répertoire ; mais ce sont des techniques très particulières, qu’on n’a jamais «emmagasinées», et qu’on ne peut pas maîtriser tout de suite. Un des premiers auteurs qui m’ait posé beaucoup de problèmes, c’est Ligeti. Sa technique est complexe, difficile et longue à assimiler. Je me souviens d’avoir passé également beaucoup de temps sur la Deuxième Sonate de Boulez. Ce sont des cas exceptionnels. Il y a en d’autres, mais ce sont des extrêmes… A l’Ensemble, la priorité est toujours donnée à la qualité. On n’a jamais de refus si on demande plus de temps pour préparer un programme, et les conditions sont au maximum de ce qui est possible pour présenter les œuvres au public.
 
Le dialogue avec les compositeurs permet-il de progresser dans l’interprétation ?
C’est effectivement un des grands plaisirs de ce répertoire que de permettre un contact direct avec le compositeur, pour élucider certains points de la partition, certains codes d’écriture que nous ne connaissons pas encore. Côtoyer la personne du compositeur est également instructif. Ce sont souvent des personnages hors du commun, qui ont un caractère, une personnalité vraiment originales. Pouvoir les rencontrer est une chance extraordinaire. Même si le premier contact s’établit plus ou moins facilement, même si on peut être déconcerté parce qu’on s’était déjà engagé dans une voie d’interprétation autre, c’est toujours positif à long terme. A moins d’avoir déjà joué beaucoup de pièces d’un compositeur, il faut absolument avoir ce contact. C’est un cadeau qui nous est fait dans ce répertoire.
 
Aborder des pièces toujours nouvelles, sans nécessairement les choisir, n’est-ce pas contraignant ?
C’est un choix de travail. On accepte de découvrir, d’aborder des œuvres qu’on ne connaît pas, dont certaines nous plairont beaucoup, et d’autres pas. Pour ma part, j’apprécie ce risque, qui s’harmonise d’ailleurs très bien avec le fait d’entretenir le répertoire traditionnel.
 
Vous continuez, par ailleurs, de jouer le répertoire classique et romantique ?
J’essaie d’équilibrer, car l’un sans l’autre me manquerait. Avant d’entrer à l’Ensemble, je n’étais pas très au fait des musiques d’aujourd’hui. Les premiers temps, j’ai été un peu surpris par l’investissement à fournir ! Mais les personnalités présentes étaient suffisamment impressionnantes pour que j’y trouve mon compte. La présence de Boulez était très attirante. Et j’ai eu la chance d’être guidé par Pierre-Laurent Aimard dans ce répertoire. Petit à petit, l’accoutumance au répertoire aidant, l’ampleur du travail est moins grande, on va plus directement à l’essentiel. Et avec une meilleure connaissance, je me suis mis à vraiment apprécier beaucoup ce répertoire. Mais à aucun moment je n’aurais imaginé abandonner le répertoire plus classique. Il en va sans doute de même pour tous les musiciens, mais peut-être plus particulièrement pour les pianistes, parce que l’instrument a une histoire très forte. Le travail est aménagé de manière que ce soit possible, et c’est essentiel. L’Ensemble intercontemporain a cette particularité d’attirer des musiciens assez originaux, avec des personnalités très marquées. Dans un orchestre classique, on recherche plutôt l’homogénéité, ou en tout cas l’unité. Ce n’est pas que l’Ensemble demande à chacun de jouer dans son coin ! mais les parties étant individuelles, chacun y est personnellement impliqué et doit toujours chercher là où il n’est pas allé, de sorte que les musiciens évoluent en permanence, échangent beaucoup.
 
Les musiciens participent à la programmation des concerts de musique de chambre ?
J’ai fait partie de la cellule de musique de chambre, qui élabore des projets de programme et en discute avec le directeur musical, pendant deux ans. Le piano est très sollicité dans le répertoire de l’Ensemble et en particulier dans la musique de chambre. Ce type de répertoire permet d’avoir un contact très proche avec d’autres musiciens et il est aussi très important, dans ce cadre, de partager les connaissances de chacun : tel musicien connaîtra mieux tel compositeur, pour avoir consacré beaucoup de temps à une de ses pièces, par exemple, ou l’aura rencontré. La connaissance collective circule beaucoup par le biais de la musique de chambre, et c’est certainement un autre atout de l’Ensemble que j’apprécie beaucoup.
 
Le piano, avec son échelle tempérée, pourrait paraître inadapté à certaines écritures contemporaines. Pourtant, il est très présent, même chez les compositeurs qui s’intéressent à la microtonalité : comment cette « contradiction » se résout-elle ? Jouez-vous souvent des claviers électroniques ?
Assez régulièrement. Le synthétiseur, d’une part, qui est un instrument encore jeune, mais un instrument à part entière, et aussi parfois, ce que je regrette, les claviers électroniques du type «clavier-maître», qui permettent de déclencher le départ d’un son pré-enregistré. L’influence de l’interprète se limite alors à ce signal et n’a aucune influence sur le tempo ou l’intensité. Pour l’interprète, c’est une sorte de non sens musical… Le piano semblerait en effet, a priori, l’instrument le moins adapté aux écritures microtonales. Théoriquement, l’échelle est faite pour être fixe, et il vaut mieux, autant que possible, respecter l’accord. A l’origine. Il n’est pas non plus souhaitable de désaccorder une grande partie des notes du piano, ce qui en affecte la qualité à long terme : le piano n’est pas conçu comme un instrument à cordes. Mais on s’aperçoit que même dans un univers microtonal, en fin de compte, certains compositeurs utilisent le piano et l’intègrent parfaitement au reste de l’orchestre ou au reste du groupe. C’est le cas de Tristan Murail, par exemple. Je pense aussi à Gérard Grisey dans sa pièce Vortex Temporum qui utilise très habilement le piano en ré-accordant seulement quelques notes en quarts de tons, mais d’une façon telle que la totalité du clavier donne l’impression d’être dans une autre échelle tonale. C’est très spectaculaire, et ça fonctionne très bien. A long terme, un piano numérique serait sans doute plus adapté si l’on veut employer des échelles très spécifiques. Pour le moment, la reproduction du son, ou plutôt sa diffusion, ne donne pas entièrement satisfaction. Cela dépend donc essentiellement du compositeur.
 
 
———–
Propos recueillis le 6 octobre 1997 par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n°4 – février-avril 1998