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Cela faisait de nombreuses années que l’EIC ne s’était pas produit en Russie. Et si la situation sanitaire n’empêche pas son retour à Moscou, le programme du concert doit nécessairement s’y adapter, jusqu’à y faire écho par la poétique même des pièces interprétées. En lieu et place des Messages de feu demoiselle R. V. Troussova de György Kurtág, voici donc un concert au tropisme chambriste, dont le ton alterne entre intimisme, menace et espoir.

En guise d’ouverture, la compositrice australienne Liza Lim détourne, dans son Wild Winged-One (2007), la trompette de l’ange annonciateur de l’apocalypse. « L’ailé sauvage » dont il est question est en fait un personnage de son opéra The Navigator : un « ange de l’histoire » qui remonte le temps et témoigne de ses atrocités et de la souffrance des peuples. Ainsi lancés sur les océans du temps, place à Dérive 1 de Pierre Boulez (1984) et aux proliférations jubilatoires de sa structure harmonique, à la résonance du piano qui les porte, et à l’entrecroisement prodigieux de ses figures ornementales et mélodiques.

Brutalement interrompu chez Boulez, le discours musical se lève à nouveau du côté de Salvatore Sciarrino « comme les étoiles dans le ciel ou comme le profil des montagnes à l’horizon ». Dans Lo spazio inverso (« l’espace inverse », 1985), le compositeur italien nous plonge dans un désert sonore, au sein duquel il fait surgir des contours infimes, des gestes fugaces, des bruits primordiaux. Semblant répondre à Dérive 1, autant par son effectif que par son énergie prolixe, le Concerto de chambre n° 2 de Bruno Mantovani (2010) met en avant à la fois la virtuosité de ses six musiciens et leurs talents pour façonner ensemble des timbres homogènes, chamarrés et coruscants.

Homogénéiser les timbres, en l’occurrence ceux du couple trompette/piano : voilà également le principe qui fonde Reflections de la slovène Nina Senk (2013). La compositrice ménage entre eux un échange savant de motifs musicaux se reflétant tour à tour chez l’un et chez l’autre, et va jusqu’à demander à son trompettiste de jouer directement dans la caisse de résonance du piano, laquelle réagit comme en écho. Ainsi la pièce est-elle « une conversation active entre deux musiciens, dans laquelle les gestes musicaux (les « mélodies ») sont aussi importantes que leurs échos ». La conversation se poursuit dans Soaring Souls de Bernhard Gander , cette fois entre le violoncelle et la contrebasse : une conversation âpre et rauque, distordue et violente, entre deux « âmes en plein essor ».

Puis la conversation se fait dialectique chez Xenakis. Doublement dialectique, d’ailleurs, puisque Morsima-Amorsima (1962) signifie littéralement « ce qui vient par le destin »-« ce qui ne vient pas par le destin ». L’œuvre est aussi le résultat de l’implémentation informatique (sur un cerveau électronique 7090 IBM) de la méthode de composition probabiliste que Xenakis mettait jusque-là en œuvre « à la main ». Le concert se referme sur Entrelacs de Yan Maresz (1999). Le titre fait référence non seulement aux motifs décoratifs, aux ondulations de l’eau ou de l’air et aux connexions et interactions complexes (communicationnels ou biologiques) mais aussi et surtout à « l’union d’éléments indépendants cohabitant harmonieusement ». Une note d’espoir, peut-être ?

Cast
  • Clément Saunier trompette
    Ensemble intercontemporain
    Dylan Corlay direction

    > Concert présenté par Rauf Ya. Farhadov, musicologue

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