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Une curiosité tous azimuts. Entretien avec Oscar Jockel, chef d’orchestre.

Entretien By Jéremie Szpirglas, le 04/11/2022

Chef assistant auprès de Matthias Pintscher depuis quelques mois, Oscar Jockel (également chef assistant de Kirill Petrenko au Berliner Philharmoniker et boursier de l’Académie Karajan) lève le voile sur son expérience au sein de l’Ensemble intercontemporain.

Oscar, pour commencer, pourriez-vous partager avec nous un souvenir fondateur de votre vie de musicien ?
Je me souviens avoir entendu, quand j’étais enfant,  des vêpres pascales en la grande cathédrale gothique de ma ville natale de Ratisbonne, avec des Motets de Palestrina — que le chœur local chante depuis des siècles dans ce lieu magique. Pour moi, la musique n’est pas un moyen de se trouver soi-même, mais toujours un pas vers un autre univers dans lequel on se perd. Paradoxalement, c’est à travers cette perte existentielle de soi que l’on revient à soi. À l’époque, je me suis tout à coup trouvé plongé dans un tout autre monde, hors du temps, et j’avais en même temps le sentiment d’être tout à fait là, et tout à fait vivant.

D’où vous vient votre goût pour les musiques de création ?
Je ne crois pas en avoir véritablement, et encore moins de spécialisation en musique contemporaine. Je fais de la musique contemporaine comme le reste du répertoire : avec le plus grand dévouement et un grand enthousiasme pour le son. Petit, j’ai fait mes premières expériences en créant et en écrivant moi-même de la musique. Pour un enfant, les écoles esthétiques ne sont nullement séparées. C’est sans doute avec cette curiosité et cette ouverture d’esprit enfantines que je veux aborder les sons dans la musique contemporaine comme non contemporaine.

Dans ces derniers mois, quels concerts vous ont le plus marqué ?
Les productions de l’Ensemble sont vraiment toutes uniques et  passionnantes.   

Des expériences surprenantes ou inattendues alors ?
Bien sûr, il y a toujours des surprises : une fois, mon vélo a crevé à mi-chemin de la Philharmonie. Je suis arrivé une minute avant la répétition et Matthias m’a demandé au pied levé de diriger un peu d’…explosante-fixe… de Boulez, ce que j’ai fait avec plaisir. J’avais encore la tête dans le chaos de la circulation parisienne et la sueur dégoulinait encore sur mon nez, et j’ai tout à coup entendu ce son hors du monde — exactement comme dans mon souvenir d’enfant dans la cathédrale de Ratisbonne, j’avais basculé dans un autre univers. L’absurdité quotidienne et la sérénité céleste sont souvent très proches l’une de l’autre à Paris.

Comment se déroule le travail avec Matthias Pintscher ?
Matthias est très généreux avec moi. Je suis très heureux de pouvoir apprendre de lui. Ce qui est merveilleux, c’est que c’est véritablement un échange. Il ne veut donner de leçon à personne. Si on le lui demande, il partage volontiers ses connaissances. En même temps, il est à l’écoute et, lorsqu’il fait de la musique, il dégage une souveraineté et une sérénité qui ne peuvent être atteintes que par une compétence maximale, une attention précise et une connaissance globale de la partition.

Et avec les solistes de l’Ensemble ?
Je ne pourrais pas imaginer un meilleur ensemble de solistes. Je suis impressionné par la manière dont chaque soliste apporte sa propre personnalité tout en créant un espace pour des expériences communes époustouflantes. Chaque membre est irremplaçable dans cette constellation particulière et je me sens extrêmement honoré de faire partie de cette communauté. Outre le fait que je peux écouter les meilleurs musiciens dans leur domaine, ils sont tous très ouverts et chaleureux.


Vous êtes aussi compositeur. Que vous apporte votre pratique de chef assistant de l’EIC quand vous composez ?
En tant que compositeur, c’est une chance absolue de pouvoir travailler ici. Je suis aux premières loges pour voir ce qui se passe en matière de création musicale. De façon pragmatique, je vois ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. En même temps, je découvre une autre approche esthétique ici à Paris.
Quand je ne suis pas à Paris ou à Berlin, je vis dans un village de montagne isolé en Autriche. Le temps semble s’y être arrêté, entouré de pentes rocheuses déchiquetées, de vaches qui paissent et de forêts sans fin. Une notion du temps qui est sans doute à l’opposé de celle des deux villes. Ce n’est que grâce à ce contraste que je prends conscience des différences. Peut-être parviendrai-je à ramener un peu du raffinement français dans les montagnes et, en même temps, un peu du sentiment d’intemporalité des montagnes à Paris.

Pour le reste de votre mandat, quels projets vous font le plus envie ?
L’anniversaire du centenaire de la naissance de György Ligeti sera certainement très intéressant et je me réjouis de pouvoir diriger son Concerto de chambre lors d’un concert en collaboration avec des jeunes danseurs du Conservatoire de Paris et le Centre National de Danse Contemporaine d’Angers au Carreau du Temple début janvier. Outre ce moment exceptionnel, j’ai hâte de découvrir toutes les autres productions qui m’emmèneront certainement vers d’autres sphères.

Photos (de haut en bas) : © Lucas Jockel / © EIC / © Quentin Chevrier