Retrouver l’autre – Édito de saison 2021-22

Édito By Matthias Pintscher, le 30/06/2021

Avec cette rentrée 2021-22, le réel reprend enfin sa place et renvoie les productions réalisées pour la « scène numérique » à leur juste dimension d’expédient. Nous sommes heureux de retrouver toutes les sensations du concert en public.

Nous avons pourtant profité de cette étrange période pour repenser nos processus et nos modes d’action, et nous nous sommes découverts une flexibilité et une réactivité que nous ne soupçonnions pas ! De cette situation sont nés par exemple le spectacle Intérieur, que l’on découvrira le 22 octobre au Théâtre du Châtelet, porté par le compositeur catalan Joan Magrané Figuera et la metteuse en scène Silvia Costa, ou encore la Phantasmagoria, du plasticien Philippe Parreno et du compositeur Marko Nikodijevic qui sera créée à Vienne en mai 2022. Deux projets qui poursuivent l’exploration, toujours passionnante, des interactions de la musique avec les autres disciplines artistiques dans laquelle nous sommes engagés ces dernières années.

Dans le monde d’hier, nous serions, au moment où j’écris cet édito, en train de boucler la saison 2022-2023. Mais non : nous recevons encore des invitations de dernière minute pour cette saison-ci, des invitations qui s’ajoutent à une grande tournée au Japon, la première depuis plus de dix ans, et à la création russe de Répons à Moscou ! C’est un défi terriblement excitant. J’ai pu observer la même flexibilité et la même bonne volonté de la part de nos solistes et du reste de l’équipe — et, à présent, de la part du public que l’on retrouve, faisant preuve d’une curiosité, d’un soutien, d’une énergie renouvelés.

Dans cette séquence de retour à la normalité, et à tout ce qui constitue notre vie sociale, la musique a son rôle à jouer. L’art sonore devient le véhicule du message, de l’émotion, des souvenirs, des visions. Cette nature non verbale est ce qui rend notre art si précieux. La musique nous apprend encore et toujours à écouter, entendre et retrouver le respect de l’autre. La musique contemporaine plus encore, par la nouveauté qu’elle propose, avec chaque nouvelle œuvre, chaque nouveau compositeur. Elle invite à se plonger dans l’inconnu, et ce, avec curiosité, plaisir, et tous les sens en éveil.

C’est en partie ce qui a motivé le choix du thème autour duquel nous avons organisé cette nouvelle saison : après Prométhée l’an passé, nous nous attachons à une autre grande figure mythologique, celle de Narcisse, avec notamment une nouvelle soirée « In Between » le 25 septembre à la Cité de la musique, mise en scène par Aliénor Dauchez et Michael Kleine. Le mythe de Narcisse révèle bien des aspects, et pas les meilleurs, de la société contemporaine : obsession de l’image, souci permanent des apparences, considération d’autrui comme un simple miroir de soi. Un phénomène dont le développement n’est d’ailleurs pas sans relation avec le bouleversement, ces derniers temps, de tout ce qui constitue le vivre ensemble. Ce repli sur la sphère personnelle a certainement contribué à l’amplification de ces tendances, fortes, à l’égocentrisme voire, à proprement parler, au narcissisme. Il nous faut aujourd’hui inverser la dynamique, retrouver une juste mesure, réapprendre à se taire pour mieux écouter.

Si Narcisse finit par mourir de cet impossible amour de lui-même, ou plus exactement de son image, la légende a un autre protagoniste tout aussi important et peut-être plus bouleversant encore : la nymphe Écho, privée d’expression personnelle, condamnée à répéter les derniers mots qu’elle a entendus. C’est en quelque sorte une « follower », sans voix propre, qui se fond dans la masse, comme sur les réseaux sociaux. Le mythe de Narcisse est aussi hautement musical, s’exprimant dans des principes comme le reflet, l’écho bien sûr, ou la résonance…

Cette passionnante nouvelle saison sera donc l’occasion d’un élan vers l’autre et vers ce qui est autre, loin du repli sur soi. Notre monde a résolument besoin « d’autre » !

* mai 2021