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Entretien avec Hélène Fauchère, soprano

Entretien By Jéremie Szpirglas, le 10/09/2015

Helene_Fauchère
La soprano Hélène Fauchère accompagne l’Ensemble intercontemporain dans ses concerts à Milan le 10 septembre et Turin le 11 septembre, dans le cadre du festival MITO. Elle revient pour nous sur son parcours et son expérience avec l’Ensemble, débutés pendant les deux soirées Turbulences Clair-Obscur de décembre 2014. 
Hélène, votre répertoire mêle musique ancienne, musique contemporaine et musique de chambre : quel équilibre recherchez-vous ?
Les différents genres et styles sont à mon sens complémentaires. Je ne prétends pas qu’ils le soient dans l’absolu (je suis convaincue qu’il est possible de se réaliser pleinement au travers d’un seul répertoire donné), mais ils le sont pour moi, en ce sens que j’aime m’épanouir au sein de modes d’expression différents mais portés par une seule et même technique, et par un seul vecteur humain : la voix dans le corps. L’équilibre que je recherche est donc une complémentarité personnelle.
Quant aux enjeux des musiques ancienne et contemporaine, je ne suis pas certaine que les similitudes les plus flagrantes entre ces deux univers soient à proprement parler artistiques. S’y retrouve, je crois, un désir commun de plus en plus présent de renouer avec un public dont ces musiques s’étaient partiellement éloignées. D’autre part, ces répertoires autorisent une exploration sonore plus décomplexée, peut-être, en regard des répertoires plus largement partagés et reconnus, et donc une autre forme de liberté.
D’où vous vient votre attirance pour la création ?
La curiosité. Au sortir de l’adolescence, je connaissais peu la musique contemporaine. Moins, en tout cas, que les autres répertoires de la musique « classique » : cette méconnaissance de la musique « de notre temps » m’a interpelée. Au travers des classes que j’ai fréquentées, je me suis liée d’amitié avec des musiciens d’horizons différents qui m’ont fait partager leur goût et leur enthousiasme. Leur persévérance et leur investissement en général répondaient à des exigences fondamentales. J’ai peu à peu découvert une dimension supplémentaire de l’art vivant, de celui dont on observe et goûte la maturation des prémices aux représentations. Par ailleurs, la création fait partie de moi depuis l’enfance, par le biais d’autres domaines : il était donc naturel que la musique contemporaine trouve sa place dans mon quotidien.
 
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Que représente une collaboration avec l’Ensemble intercontemporain ?
Tout d’abord, c’est une continuité dans mon évolution : j’ai commencé avec le Klangforum Wien, puis avec l’Ensemble Modern, notamment. Travailler avec l’EIC s’inscrit dans une certaine logique ! Ensuite, cela représente une forme de reconnaissance artistique et professionnelle : j’ai fait mes débuts avec l’Ensemble en décembre dernier, et je suis très heureuse que cette collaboration soit aujourd’hui reconduite, car cela témoigne de la confiance qui m’est donnée. Enfin, pour un musicien versé dans la musique contemporaine, chanter avec ce pilier de la création artistique est évidemment à la fois une aspiration et un bonheur.
Comment travaille-t-on une œuvre comme Pli selon Pli ?
Comme n’importe quelle autre œuvre de répertoire ! Je veux dire avec les mêmes outils et exigences techniques sur le plan vocal que pour un Lied de Berg ou un air de Mozart. Le type d’écoute diffère peut-être du fait qu’on ne prend pas ses repères de la même façon : il faut approprier sa concentration auditive à chaque langage musical.
Chanter cette œuvre avec l’EIC m’est naturellement d’une aide précieuse : elle appartient à son répertoire, ses musiciens en ont une profonde expérience, y compris avec le compositeur lui-même, qu’ils me font partager avec bienveillance, et dont ils me nourrissent tout simplement en proposant leur interprétation.
 
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Stéphane Mallarmé travaille sa langue d’une manière très particulière : cela influe-t-il votre manière de chanter ?
Au risque de paraitre radicale : non, la conception créatrice mallarméenne n’influe pas mon chant. Je ne propose pas une interprétation de la poésie de Mallarmé, ce n’est pas mon rôle en tant qu’interprète : j’essaie humblement de restituer ce que je perçois de l’interprétation que Pierre Boulez en a faite. Par exemple, l’écriture vocale rend la compréhension complète du texte plutôt difficile, mais oblige à se focaliser sur l’essence du poème.
Les trois mouvements centraux de Pli selon pli (et notamment les deux que vous chanterez) sont marqués « Improvisation » : que vous inspire cette indication ?
Le terme évoque pour moi d’autres œuvres proches de nous, comme les Improvisations de Kandinsky. En art contemporain, on observe souvent le désir de capturer ce qui est traditionnellement, au sens strict, une créativité dans l’instant, et donc de le noter. Un désir de coucher sur la papier, le plus précisément possible (parfois avec une notation nouvelle), lors de la composition, ce qui en d’autres temps aurait peut-être été confié à la créativité plus ou moins spontanée de l’interprète, comme dans l’ornementation baroque ou dans le jazz, ou ce qui en d’autres lieux relèverait de la tradition orale de la musique savante d’autres cultures que la nôtre. En résumé, c’est une indication qui revêt dans mon imaginaire un caractère assez cosmopolite.
 
 

 
Photos (de haut en bas) : portrait DR / © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain