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Entretien avec George Benjamin

Entretien By Bruno Serrou, le 29/04/1997

Élève de Messiaen dès l’âge de 16 ans, George Benjamin sera associé à plusieurs projets de l’Ensemble intercontemporain cette saison, en tant que chef d’orchestre, en particulier lors de l’Académie du XXe siècle.
 
Vous dites avoir découvert la musique classique relativement tard, vers l’âge de sept ans. Auparavant vous étiez plutôt attiré par la musique populaire anglo-saxonne…
Ma passion pour la musique populaire a pris fin alors que j’avais six ou sept ans. Cette rupture fut violente. C’était au milieu des années 1960, la grande époque de la musique populaire. Puis, totalement converti, j’ai jeté tous mes disques pop à la poubelle.
 
Comment s’est passée cette conversion ?
Après avoir vu Fantasia de Walt Disney. Moussorgski, Stravinsky, Beethoven m’ont bouleversé. Dans les années trente, Leopold Stokowski avait déjà la volonté d’utiliser le cinéma pour ouvrir la musique classique aux millions de gens qui se bousculaient dans les salles. Il a eu le courage de se saisir d’une œuvre encore nouvelle et problématique à cette époque – sinon scandaleuse : Le Sacre du printemps. C’est peut-être plus important encore que ce qu’allait faire Leonard Bernstein avec la télévision. Stokowski prenait alors une œuvre de Stravinsky encore récente, créée moins d’un quart de siècle plus tôt. C’est comme si aujourd’hui un chef d’orchestre imposait dans un film Pli selon Pli de Boulez ou Sinfonia de Berio…
 
Vous avez eu la chance de rencontrer la musique sérieuse par l’intermédiaire d’un film, vous étiez très jeune. Vous êtes donc convaincu qu’il faut trouver les moyens de créer un public ?
Dans mon pays, il y a un fait qui, je crois, est rare : la pédagogie musicale en milieu scolaire. Aujourd’hui tous les enfants qui ont entre 5 et 14 ans doivent régulièrement chanter, jouer un instrument (flûte à bec, percussion, etc.) et même aborder la composition – la plus simple, bien sûr – à l’école. Par conséquent, tous les enfants ont l’occasion de lire la musique, d’en écouter et d’en faire. Après l’âge de 14 ans, ils ont la possibilité de continuer leurs études musicales, mais dans une direction approfondie, comme s’il s’agissait d’une option scientifique ou d’une langue étrangère. Il semble qu’ils soient de plus en plus nombreux à choisir la musique, qui se trouve ainsi profondément ancrée dans la vie scolaire. Bien sûr, tout n’est pas parfait! Certains professeurs n’ont peut-être pas l’expérience suffisante pour enseigner la musique à de jeunes enfants. Et les leçons d’instrument, qui étaient gratuites depuis quarante ans, ne le sont plus désormais. Cela pourrait avoir des conséquences pour les nombreux orchestres de jeunes qui existent un peu partout en Angleterre et, au-delà, sur le niveau général des musiciens professionnels. Nous verrons…
 
Que vous a apporté l’enseignement de la musique en milieu scolaire ?
J’ai pu y jouer de la flûte à bec, de la flûte, du hautbois, de la percussion, parallèlement à mes leçons particulières de piano.
 
Il y avait aussi les chœurs d’enfants ?
A dix ans, je chantais la Passion selon Saint Matthieu, le Prince Igor de Borodine, le Messie de Haendel, etc.
 
Vous participez aux manifestations pédagogiques organisées par la Cité de la musique et l’Ensemble intercontemporain. Avez-vous déjà tenté ce type d’expérience ?
La première fois, c’était il y a quinze ans, lors de la création de At First Light. Avant l’exécution, je me suis rendu dans quelques écoles où j’ai présenté cette œuvre à un millier d’enfants. Dans toute l’Angleterre, compositeurs et instrumentistes – même les plus connus – sont de plus en plus souvent sur le terrain et vont volontiers dans les écoles. Je n’ai hélas plus le temps de m’y consacrer comme je le voudrais. Lorsque je le fais, ce n’est pas pour essayer de convaincre les enfants de devenir compositeurs ni même musiciens. La musique est bonne pour les enfants, j’en suis convaincu. Cela leur apprend à écouter, à ressentir, à collaborer avec leurs camarades, à connaître l’histoire, acquérir une expérience. Je suis absolument persuadé que c’est quelque chose de merveilleux pour l’intelligence des enfants, et pour toutes sortes de raisons. Même s’ils ne reviennent jamais au concert en tant qu’auditeurs et ne deviennent pas musiciens. Bien sûr, si 2 ou 3 % choisissent ce métier, ou si une dizaine d’entre eux aiment la musique et préservent cet amour toute la vie, c’est formidable! Et c’est intéressant pour nous, musiciens, de nous consacrer à ce type de pédagogie, parce que cela nous apprend la simplicité, en nous obligeant à expliquer avec des mots clairs des données très complexes. Il est inutile d’essayer de décrire certains éléments au grand public. Mais d’autres peuvent être transmis : essayer de le faire est rafraîchissant pour l’esprit.
 
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Bruno Serrou
Extrait d’Accents n° 2 – avril-juin 1997