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« Densité 21.5 » d’Edgard Varèse.

Éclairage Par Sophie Cherrier, le 25/11/2024

Le 10 décembre, à la Philharmonie de Paris, Sophie Cherrier sera la soliste de Densité 21.5 d’Edgard Varèse. Eclairage de la flûtiste de l’EIC sur une pièce iconique du répertoire pour flûte solo. 

Composée en 1936, et revue dix ans plus tard, Densité 21.5 est à mes yeux une pièce révolutionnaire. La précédente grande pièce solo emblématique de notre répertoire remonte à 1913 : Syrinx de Claude Debussy. Destinée à accompagner le monodrame Psyché de Gabriel Mourey, Syrinx est un petit bijou, très mélodique. La partition est déjà très précise, avec beaucoup d’indications de rythmes et de dynamiques.  23 ans plus tard, cette précision devient plus grande encore avec Densité 21.5 Edgard Varèse fait entrer la flûte dans la modernité.
Une modernité scientifique, même : composée pour inaugurer le nouvel instrument du flûtiste Georges Barrère, son titre fait directement référence au métal dans lequel il est fabriqué, le platine, dont la densité est de 21.5 g/cm3. Le compositeur célèbre ainsi ce qui est présenté à l’époque comme une avancée dans la facture instrumentale en même temps que les connaissances scientifiques sur la matière.
Syrinx et Densité 21.5 sont deux pièces très courtes, et je me demande si Varèse ne fait pas un petit clin d’œil à son aîné en ouvrant Densité 21.5 sur le même intervalle de trois notes, certes transposé, mais dessinant exactement la même courbe.
Après ça, en revanche, l’aspect mélodique de Debussy n’est plus qu’un lointain souvenir : si l’on a parfois une idée de mélodie, elle est rapidement interrompue par des quasi accès de folie. Varèse imprime un ton beaucoup plus rugueux, avec des sauts d’intervalles et des dynamiques extrêmes (jusqu’à fff). Il exploite toute l’étendue du registre, jusqu’à ce contre-ré qui tend complètement la pièce pendant une ligne et demi ! Je ne suis pas certaine qu’on ait entendu beaucoup de contre-ré de flûte à l’époque… Je me suis toujours dit que ces grands sauts d’intervalle avaient dû inspirer Pierre Boulez qui les a utilisés dans des rythmes encore plus complexes et rapides.
Apparait aussi un premier « mode de jeu », comme on les appelle aujourd’hui. En l’occurrence, Varèse demande que les notes marquées d’un « + » soient jouées doucement, en claquant les clefs pour obtenir un effet de percussion. Comparé à ce que nous demandent les compositeurs d’aujourd’hui, ça n’a l’air de rien, mais là encore, dans le contexte de l’époque, c’était une petite révolution.

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas

 

Photos (de haut en bas) : © EIC / Edgard Varèse © Médiathèque Musicale Mahler