Génération Next. Entretien avec Hae-Sun Kang.
EntretienTrès active dans diverses classes du Conservatoire de Paris, la violoniste Hae-Sun Kang est la principale cheville ouvrière du cursus de 3ème Cycle Artist Diploma – Interprétation Création, une classe dont l’effectif constitue depuis deux ans les forces vives de l’Ensemble NEXT, consacré à la création et à l’interprétation des répertoires contemporains. Elle revient pour nous sur l’histoire et les enjeux de cette formation unique au monde.
Hae-Sun, d’où vient l’idée de ce diplôme de 3ème cycle au CNSMD de Paris ? Quel manque est-il venu combler dans le cursus commun des élèves du conservatoire ?
Le cursus de 3e cycle, appelé Diplôme d’Artiste – Interprétation (DAI), existe depuis bien longtemps. Mais il couvrait tout le répertoire « classique », dirons-nous. Rien n’existait spécifiquement concernant le répertoire contemporain. On avait pourtant des demandes d’élèves intéressés, auxquelles on ne pouvait répondre de manière satisfaisante.
Quand Bruno Mantovani a été nommé à la direction du conservatoire, nous avons imaginé ensemble une deuxième classe de DAI, spécifiquement dédiée aux musiques d’aujourd’hui, avec un concours d’entrée annuel indépendant du DAI classique, et un diplôme prévu en un an, renouvelable une fois. La classe s’est développée, avec plusieurs concerts donnés par les étudiant·e·s chaque année.
Quand Émilie Delorme a succédé à Bruno, nous avons voulu aller plus loin et repenser la classe sous la forme d’un ensemble constitué, pour monter des projets plus ambitieux. C’est ainsi qu’est né l’Ensemble NEXT. Évidemment, il existe dans le monde d’autres cursus d’ensemble spécialisé dans le répertoire contemporain, mais tous les autres sont destinés à des étudiant·e·s en Master, et non pas en 3e cycle. C’est donc un ensemble unique en son genre : les élèves ont presque tous déjà commencé leur carrière. Certain·e·s sont déjà sous contrat !
Quel est le processus de sélection des étudiant·e·s ?
Par un concours d’entrée, qui a lieu tous les deux ans, et comprend plusieurs épreuves assez difficiles. Le premier tour est une sélection sur dossier comprenant des enregistrements vidéo des étudiant·e·s interprétant des pièces du répertoire contemporain ou du XXe siècle. Ceux et celles qui sont retenus viennent à Paris passer un deuxième tour au cours duquel le jury les entend dans des répertoires contemporains qu’ils choisissent dans une liste que nous leur proposons — ils peuvent aussi présenter d’autres pièces, s’ils le souhaitent.
Vient ensuite une épreuve d’improvisation, en groupe. Et, enfin, une dernière épreuve, un entretien, très important. Le concours est ouvert à tout le monde, au niveau post-Master — dans une limite d’âge de 30 ans. Nous recevons chaque fois une quarantaine de candidatures et nous avons constaté cette année un véritable engouement, pour le deuxième concours spécifiquement dédié à l’Ensemble NEXT.
La classe étant désormais un ensemble, les jeunes musiciennes et musiciens qui le constituent sont-ils recrutés sur des postes en particulier ?
Oui. L’Ensemble NEXT (photo ci-dessus en 2024) comprend 15 membres, et nous avons déterminé des postes relativement fixes. Autre spécificité qui rend cet ensemble unique au monde : l’Ensemble NEXT comprend deux étudiant·e·s Réalisateur·trice·s en informatique musicale (RIM), recruté·e·s sur concours comme les instrumentistes, pour aborder tout le répertoire avec électronique, toujours dans une même démarche pédagogique.
Comment se passe le cursus lui-même ? Comment sont abordés les divers aspects des musiques d’aujourd’hui ?
D’abord, il y a les activités de l’Ensemble NEXT en tant que tel. L’Ensemble se produit ainsi en concert avec des pièces écrites exprès pour nous par les étudiant·e·s des classes de composition du conservatoire. L’Ensemble NEXT se produit également dans des productions communes avec l’EIC, et répond chaque année à des invitations de festivals comme Présences, ManiFeste ou Traiettorie (à Parme en Italie). Les projets s’enchaînent, comprenant des pièces d’ensemble avec ou sans électronique, des pièces solistes avec électronique. Cela fait beaucoup de partitions à préparer.
En dehors du cadre de ces diverses productions, des séminaires sont organisés pour les instrumentistes, qui ont en outre accès aux diverses ressources du Conservatoire en termes de recherche et de médiation. Ils peuvent enfin bénéficier, au cours des deux années du Cursus, de 10 heures de cours avec n’importe quel professeur du Conservatoire du Paris. Je leur ai également obtenu, toujours sur ces deux années, 4 heures de cours avec n’importe lequel des solistes de l’Ensemble intercontemporain. Enfin, ils peuvent venir me voir moi, sans aucune limite de temps, quand ils le souhaitent — et pas uniquement les violonistes.
Quel est votre rôle, justement, dans ce projet ?
Le Cursus ayant pris la forme d’un ensemble instrumental, celui-ci bénéficie d’une gestion administrative et d’une direction de production — prises en charge par le Conservatoire. Je m’occupe quant à moi de l’artistique. Je suis en contact direct avec tous les élèves, individuellement. Quand il y a lieu, je m’occupe également de la programmation — lorsque nous sommes invités par des festivals ou d’autres institutions dans le monde. Je participe à l’élaboration des programmes de concert, ce qui nous permet d’ailleurs parfois d’aborder, outre la création, quelques grandes pages du répertoire.
Où sont aujourd’hui les diplômé·e·s du DAIC, et les ancien·ne·s de l’Ensemble NEXT ? Quels sont les débouchés de cette formation ?
Si je regarde tous les ancien·ne·s étudiant·e·s, depuis le début, je constate qu’ils sont nombreux à faire carrière dans le répertoire contemporain, que ce soit en soliste, au sein d’ensembles, ou en portant eux-mêmes leurs projets. J’entends beaucoup de choses très intéressantes !
Qu’en retirez-vous personnellement ?
D’abord de la satisfaction : avec le soutien de Bruno Mantovani puis d’Émilie Delorme, nous avons réussi à monter cette classe, et le résultat est là, l’Ensemble NEXT est aujourd’hui pérenne. Ensuite, j’en retiens que, le plus important, ce n’est pas le DAIC ou l’Ensemble NEXT, c’est tout ce qui se passe en amont. Parce que ces étudiant·e·s ne s’engagent pas dans cette direction par hasard.
Outre l’Ensemble NEXT, j’ai deux classes au CNSMD de Paris : une de musique de chambre et une « option répertoire contemporain », ouverte à tous (de la Licence au Master) — une option qui a connu un succès immédiat dès sa création. C’est le plus souvent dans ces deux classes qu’ils découvrent ces répertoires — et c’est là que nous arrivons à les fidéliser, notamment via les projets que nous menons en collaboration entre l’Orchestre du Conservatoire et l’EIC. Ça ne leur fait plus peur : dès le départ, ils sont plus ouverts, et ils s’y habituent. Je constate ainsi que les étudiant·e·s sont de plus en plus intéressé·e·s. Ils sont conscients que c’est là l’avenir.
Photos (de haut en bas) : © Franc Ferville / autres photos © EIC
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