Projektion, une œuvre « Klee », entretien avec Hanspeter Kyburz
EntretienLe titre que vous avez donné à votre -nouvelle œuvre, Projektion, rappelle votre intérêt pour tout ce qui touche à l’espace sonore. Ce titre renvoie-t-il à une interprétation plus particulière ?
Le terme « Projektion » provient d’un -recueil de textes de Paul Klee, La pensée créatrice, rédigé à partir de son enseignement au Bauhaus de Weimar et Dessau, de 1921 à 1930. Dans ces textes, il présente quelques-uns des modèles qu’il utilise pour ses compositions. Les « projections » sont réalisées à partir de grilles -ordinaires faites d’horizontales et de verticales, comme un échiquier, grilles sur -lesquelles il trace des figures : par exemple un triangle, qui peut être irrégulier mais doit rester assez simple à saisir. Puis, en changeant la position des points de repère sur la grille, et selon la manière dont on opère une distorsion de la grille de départ, on obtient une déformation particulière de la figure initiale.
Comment avez-vous transposé ce principe sur un plan musical ?
Dans cette œuvre, j’utilise une « figure » principale constituée d’une suite de nombres qui peut revêtir différents -contenus musicaux. Comme Klee, je peux changer la grille, et la figure de départ s’en trouve modifiée, la modification de la base étant projetée sur l’objet situé au-dessus. C’est pourquoi j’ai donné à cette œuvre le titre de « Projektion ». Chaque transformation affecte les deux niveaux que constituent d’une part l’orchestre, d’autre part l’ensemble de neuf musiciens. Il existe différents effets d’échos, d’harmoniques, de corrélations entre les motifs mélodiques ou rythmiques. En fait, tous les matériaux présents le sont à la fois dans le groupe de neuf musiciens et dans l’orchestre, mais toujours modifiés, et selon une constante oscillation entre les deux niveaux. Pour autant, on ne peut dire que l’orchestre -forme une base au-dessus de laquelle évolue l’ensemble, car il existe un échange permanent entre ces deux groupes.
Qu’est-ce qui caractérise pour vous cette pièce, par rapport à vos œuvres -antérieures ?
Hormis cette construction géométrique, c’est le changement de perspective entre l’ensemble et l’orchestre qui m’a -intéressé. Les deux groupes possèdent beaucoup d’éléments similaires, toujours variés -cependant. On peut reconnaître une figure déjà jouée par l’ensemble, plus ou moins modifiée sur le plan de l’harmonie – qui peut être enrichie ou réduite, par exemple – et sur le plan rythmique. Les structures motiviques de l’orchestre et de l’ensemble sont très proches, ce qui me permet -d’obtenir un effet de perspectives changeantes, tout à fait comme dans un labyrinthe de miroirs, dans lequel on perçoit toujours ce qui a déjà été donné par l’autre groupe.
Un autre aspect m’a intéressé, c’est l’absence de mouvements distincts, de sections contrastantes. Dans Projektion, il n’y a pas d’architecture globale comparable aux mouvements liés sans interruption de The Voynich Cipher Manustript, par exemple, où l’on pouvait repérer des sections de plusieurs minutes. Il s’agit plutôt ici de petits objets enchaînés, à travers lesquels se développent les trajectoires et les formes ; des « objets » de quelques -mesures, deux à six tout au plus, qui font perdre la sensation de continuité et favorisent les changements de perspective. La trajectoire d’ensemble est cependant perceptible grâce au développement très strict de l’harmonie. Ce qui m’a vraiment intéressé dans cette pièce, c’est la puissance d’intégration de l’harmonie, capable de donner une base à la comparaison des différences motiviques entre l’ensemble et l’orchestre. Jusqu’à présent, j’ai toujours recherché des contrastes d’ensemble pour les lier dans un plan dramaturgique. Maintenant, le lien est plus abstrait, et ce sont vraiment l’harmonie et la structure motivique qui relient les différents objets de la composition.
Propos recueillis par Véronique Brindeau
Extrait d’Accents n° 26 – avril-juin 2005
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