Regards croisés sur Hamlet/Fantômes. Pierre Bleuse et Yalda Zamani, direction.
ÉclairageDu 7 au 19 octobre, l’EIC retrouvera la scène du Théâtre du Châtelet pour onze représentations d’Hamlet/Fantômes, une (re)création inouïe de la célèbre tragédie de Shakespeare par Kirill Serebrennikov, sur une musique de Blaise Ubaldini. Le temps pour Pierre Bleuse et Yalda Zamani de porter un regard complémentaire et enrichi sur la partition.
Pierre, dans quelles circonstances l’Ensemble intercontemporain a-t-il été amené à participer au projet Hamlet/Fantômes ?
La création est au cœur de la mission de l’Ensemble intercontemporain. Après discussion avec Kirill Serebrennikov et Olivier Py, le projet d’une commande à un compositeur d’aujourd’hui s’est aussitôt imposé. En effet, lorsque Kirill Serebrennikov a décidé de déconstruire Hamlet pour le reconstruire à sa façon, nous étions tous très stimulés par l’idée de repartir d’une page blanche,. D’autant plus que les solistes de l’Ensemble intercontemporain sont très attachés aux projets de théâtre musical, surtout quand ils sont partie prenante de la création.
Je connaissais bien le travail de Blaise Ubaldini, dont j’avais créé le premier opéra : il utilisait déjà la guitare électrique et nous avions alors eu une sorte de coup de foudre artistique. J’ai donc tout naturellement proposé que le Théâtre du Châtelet lui commande une partition nouvelle pour Hamlet/Fantômes. Blaise Ubaldini est une sorte d’électron libre, dans la mesure où il a une grande aptitude à s’émanciper des frontières esthétiques et/ou stylistiques. Il a aussi un côté très rock n’roll, tout en maîtrisant parfaitement les règles de l’écriture savante. C’est un des rares compositeurs à revendiquer une forme d’expression pour tous : il est en ce sens un peu rebelle et c’est ce que nous souhaitions pour ce projet.
À la veille de sa création, comment caractériseriez-vous ce spectacle ?
Ce n’est pas un spectacle conventionnel. À tous les niveaux, nous avons exploré des territoires nouveaux. Par exemple, les solistes de l’Ensemble intercontemporain sont des artistes complets, capables d’être à la fois dans la fosse, seuls sur scène, ou même immergés dans la mise en scène. Ici, ils montrent une capacité d’adaptation hors-norme, car la musique de Blaise Ubaldini n’est pas forcément celle dont notre ensemble est familier. Ces dix scènes de théâtre qui s’enchaînent, ce sont aussi dix métamorphoses musicales qui donnent à voir toutes les facettes des instrumentistes, capables de se fondre dans des esthétiques très variées – et de jouer avec.
Nous avons aussi travaillé en mouvement, avec une grande souplesse : la matière orchestrale a ainsi porté ses fruits sur le jeu des acteurs, a infusé et a même parfois modifié leur propre rythme. Il est rare de pouvoir laisser la place à de telles transformations, et nous devons cette chance à la qualité de la collaboration entre un metteur en scène très sensible à la place de la musique dans le théâtre, Kirill Serebrennikov, le compositeur et l’ensemble. Nous le devons aussi à la qualité du compositeur, Blaise Ubaldini, qui a écrit une véritable musique de scène, c’est-à-dire une partition dont la dramaturgie s’accorde à celle du texte et de la mise en scène. C’est aussi cela, le théâtre musical.
Yalda, le processus de création musicale de Hamlet/Fantômes a été à la fois très flexible et très collectif. Comment vous êtes-vous impliquée dans une telle dynamique ?
Ma mission consiste à faire converger toutes les énergies, tout en faisant preuve de flexibilité. Cinq forces majeures doivent se rencontrer et coopérer, sans heurts : les équipes du Châtelet, celles de Kirill Serebrennikov, les comédiens, les musiciens de l’Ensemble intercontemporain, et, bien sûr, le compositeur, Blaise Ubaldini. À cet égard, le travail avec le dramaturge musical, Daniil Orlov, était essentiel car il a été le principal lien entre la partition et les comédiens, dont les besoins durant les répétitions et la force créative ont, peu à peu, façonné la manière dont la musique respire aujourd’hui.
Ma présence, dès le tout début des répétitions, m’a aussi permis d’observer l’évolution de la mise en scène afin d’anticiper les moments où nous allions devoir, avec Pierre Bleuse, agir tout en souplesse. C’est une manière de « préparer le terrain » afin que, dès l’arrivée des musiciens, le dialogue entre la scène et la fosse s’instaure avec fluidité. Cette implication précoce est nécessaire à la compréhension des choix dramaturgiques du metteur en scène, choix qu’il faut aussi traduire dans les dialogues avec le compositeur. Nous aurons ainsi réussi à faire de la musique un partenaire organique de la dramaturgie.
Vous dirigez Hamlet/Fantômes en alternance avec Pierre Bleuse : quelle est la valeur ajoutée d’un tel dispositif ?
C’est une manière d’assurer la continuité tout au long du processus de création et d’exploitation du spectacle. Ma présence, dès les toutes premières répétitions m’a permis de suivre de très près la mise en scène, afin de préparer l’arrivée des solistes et du chœur. Mais cette alternance représente surtout pour moi, en tant que cheffe assistante de l’Ensemble intercontemporain, l’opportunité inestimable de prendre part à un projet artistique de grande envergure. Mon rôle consistait à soutenir et à compléter la vision du directeur musical, Pierre Bleuse, en partageant les points de vue acquis au fur et à mesure des répétitions, afin d’assurer la meilleure connexion possible entre la mise en scène et la musique. Et je suis convaincue que cette alternance est à la fois gage de stabilité et de fraîcheur, grâce à la qualité des échanges qui nous entretenons, les uns et les autres.
Propos recueillis par Aurélien Poidevin
Photos (de haut en bas) : répétition générale de Hamlet/Fantômes au Théâtre du Châtelet © Quentin Chevrier ; Yalda Zamani en répétition de Hamlet Fantômes © Frol Podlesnyi
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