« Labourer le ciel » avec Lara Morciano.
EntretienLe jeudi 26 juin à la Cité de la musique, l’Ensemble intercontemporain dirigé par Pierre Bleuse interprétera le poétique Nel cielo appena arato (2009) de la compositrice italienne Lara Morciano, dans le cadre de l’édition 2025 du festival ManiFeste de l’Ircam. Entre virtuosité instrumentale et exploration spectrale, cette pièce invite à un voyage sonore unique. Lara Morciano revient sur la naissance de cette œuvre pour ensemble, qui n’a rien perdu de son énergie ni de sa puissance d’évocation.
Lara, le titre de l’œuvre, Nel cielo appena arato, évoque de nombreuses images. Comment est-il né ? Quelle importance accordez-vous au choix des titres de vos œuvres ?
Durant l’année de composition de l’œuvre, en 2008, je lisais des poèmes de Marina Corona, écrivaine et mère d’une amie très proche. C’est dans cet écho intime que j’ai pensé le titre de la pièce — qui signifie littéralement « le ciel qui vient d’être labouré » — en imaginant des traces diversifiées de sons qui traversent ou déchirent une continuité d’énergie en mouvement ou des harmonies éthérées. Je cherche toujours à inventer des titres, souvent en italien ou en latin, en jouant avec des locutions ou des mots inexistants, choisis pour leur sonorité évocatrice.
Cette pièce a suscité différentes étapes d’élaboration. Pouvez-vous nous en retracer l’évolution ?
Le concours « Tremplin de la création » visait à sélectionner quatre compositeurs et compositrices parmi les dossiers reçus et évalués par un jury. Il s’agissait, dans un premier temps, de proposer l’esquisse d’une pièce de cinq minutes destinée à être lue lors d’une séance de travail avec l’Ensemble intercontemporain sous la direction de Susanna Mälkki. À l’issue de cette restitution, la commande d’une œuvre était passée au compositeur lauréat et créée l’année suivante par l’Ensemble intercontemporain au Centre Pompidou.
Vous mentionnez, dans votre note d’intention, « un travail de recherche sur les combinaisons de timbres et d’harmonies à partir d’analyses spectrales réalisées sur les percussions résonnantes comme des gongs, des cymbales ou des tams-tams ». En quoi a constitué précisément cette recherche et quels outils avez-vous utilisés ?
Le matériau harmonique de l’œuvre entière est basé sur les résultats de l’analyse spectrale du son d’un gong balinais que l’on entend au début de la pièce et à certains moments clés de la structure. Les modèles de résonance ont été transformés à travers des processus de distorsion, transposition, filtrage et décalage des fréquences afin de faire évoluer la matière sonore et le parcours formel.
Les moyens technologiques mobilisés pour la réalisation de la partie préliminaire ainsi que la production du matériau utilisé dans la composition ont reposé sur l’utilisation de l’environnement informatique Max/MSP, créé par l’Ircam. Un patch dédié a été développé (en collaboration avec le compositeur et réalisateur d’informatique musicale José Miguel Fernandez) afin de permettre la création et la simulation d’accords orchestraux.
Répétition de Nel cielo appena arato à la Cité de la musique
Quels étaient les enjeux de cette œuvre qui ne fait pas intervenir l’électronique comme dans les pièces mixtes que vous allez écrire par la suite ?
La pièce relève de la Musique Assistée par Ordinateur (MAO). Ce travail m’a permis d’explorer plusieurs logiciels au service de ma pensée musicale et d’élargir mes techniques d’écriture. L’un des enjeux principaux de l’œuvre a été d’articuler une écriture instrumentale solistique — rythmée, dense, virtuose — avec un matériau harmonique dont les caractéristiques sont plutôt statiques et étalées dans le temps. Il s’agissait de faire coexister deux dynamiques contrastées : d’un côté l’impulsion et la mobilité du jeu instrumental, de l’autre la lenteur évolutive et l’ancrage des structures spectrales.
Quelle est votre position vis-à-vis du courant spectral des années 1970 ? Est-ce une esthétique dont vous revendiquez, sinon l’héritage, du moins l’envergure des recherches menées dans le domaine du timbre et ses composantes ?
J’ai approfondi l’esthétique spectrale depuis mon arrivée en France (2006), en y consacrant notamment une partie de mon travail de Master d’Arts de l’Université Paris 8 (« Les modèles de résonance des instruments à percussion pour la composition et l’orchestration »). Même si je n’ai pas poursuivi le développement des outils spécifiques mis au point pour cette pièce, les recherches menées sur le timbre et ses composantes, en lien avec l’orchestre et les traitements électroniques constituent un axe privilégié dans mon univers sonore et une réflexion permanente dans ma composition.
Photo (de haut en bas) : © EIC / © Anne-Elise Grosbois
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