Afficher le menu

Emmanuelle Ophèle : « For Philip Guston ».

Éclairage Par Emmanuelle Ophèle, le 01/04/2025

Dans le cadre de l’exposition « Corps et âmes » présentée à la Bourse du Commerce, trois solistes y interprèteront le 15 avril l’une des œuvres majeures du compositeur Morton Feldman, écrite en hommage à son ami, le peintre américain Philip Guston. D’une durée de quatre heures, cette pièce représente un véritable défi pour les musiciens, comme l’explique la flûtiste Emmanuelle Ophèle.

Quand on nous a proposé de jouer For Philip Guston à la Bourse du commerce, je n’y ai pas cru. Jouer dans ce lieu magnifique ? Plus de quatre heures de musique ? C’était pour moi une évidence que l’Ensemble devait répondre à cette invitation. J’ai tout de suite accepté, et il n’en fallut pas plus pour convaincre Aurélien Gignoux [percussionniste], qui en a parlé à son tour à Ninon Hannecart-Ségal [pianiste], pour que le trio soit formé !

C’est un projet fou, très expérimental, qui joue sur les sensations des musiciens et des spectateurs. Aucun de nous n’a déjà donné plus de quatre heures de musique sans interruption, c’est une véritable performance. Le plus intriguant est qu’au premier abord, la partition ne semble pas si difficile. Mais plus je la travaille, plus je me rends compte de sa difficulté. Pour être honnête, je n’ai jamais joué une pièce aussi difficile, en 38 ans ! La durée n’est pas la seule en cause. Bien sûr, elle affecte la concentration des interprètes. Nous avons dû ajouter des repères temporels sur la partition, pour indiquer les 2h puis 3h de musique. Mais la pièce elle-même est d’une complexité rythmique déconcertante. Pendant plusieurs mesures, les trois musiciens ne partage jamais le même rythme, et la première note en commun n’apparaît qu’au bout de huit mesures ! Juste le temps de vérifier qu’on est toujours au tempo, et de repartir…

À ces micro-différences rythmiques s’ajoute, paradoxalement, une certaine forme de langueur, ou de longueur, qui créé une impression de sérénité. Certaines cellules sont répétées 3, 4 fois, à l’infini, et de cette répétition naît comme une transe. La nuance pianissimo de la pièce y contribue fortement. Morton Feldman écrit ppp ; puis après 3h de musique, pppp, comme pour nous rappeler que la résonnance du son doit rester très intime. Elle invite le spectateur à l’introspection, à la méditation, ou simplement au lâcher-prise.

Pour nous, interprètes, elle nous force à rester à la fois très concentrés sur nos propres sensations, et très connectés aux autres. Nous puisons dans les énergies des uns des autres. Si cette performance est très physique, je ne veux pas laisser transparaître de douleur ou de malaise, je préfère d’ailleurs jouer debout. Je voudrais arriver à transmettre cette sérénité, cette paix, pour offrir aux spectateurs cette expérience de la beauté. La Bourse du commerce est un endroit parfait pour cela !

Photos : Emmanuelle Ophèle © Franck Ferville / La Rotonde © Bourse du commerce