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Jeanne Maugrenier : aller plus haut.

Portrait Par Laurent Vilarem, le 11/02/2025

Toujours plus haut, telle pourrait être la devise de Jeanne Maugrenier, corniste à l’Ensemble intercontemporain depuis quelques mois, et qui aime autant le cor… que l’escalade ! Portrait d’une musicienne aux multiples talents. 

Le cor est arrivé par hasard dans la vie de Jeanne Maugrenier. « Je faisais le tour des classes dans le conservatoire où ma mère donnait des cours. Je suis entrée dans la salle du cor et l’instrument m’a plu ! ». Jeune fille, elle découvre alors un instrument à cuivre complexe mais d’une fascinante versatilité : « Le cor possède tellement de rôles différents à l’orchestre. Nous avons un grand répertoire soliste mais aussi de chambriste car le son chaleureux du cor a la chance de se marier aux autres instruments »

Ce goût de la difficulté n’est pas sans déplaire à la nouvelle recrue de l’Ensemble intercontemporain. De fait, Jeanne Maugrenier rentre tout juste d’une séance d’escalade. « J’en fais depuis que je suis petite. Je pratique le bloc : je monte des parois de faible hauteur qui sont surtout techniques. Il y a un côté ludique : il faut vérifier les bons mouvements et trouver les prises où s’appuyer pour avancer plus loin ». Dans la journée, la musicienne poursuivra ses efforts. Une montagne de partitions l’attend en effet sur son pupitre : « Je travaille les prochains programmes de l’Ensemble : Foxtrot Delirium de Martin Matalon, deux pièces d’Unsuk Chin que nous enregistrons bientôt, suivies d’Assonance IV b pour cor seul de Michael Jarrell en mars.
Quand on se retrouve face à de telles œuvres, il y a l’envie de se surpasser. La musique contemporaine pousse à découvrir de nouvelles sonorités et chercher des nouveaux jeux instrumentaux pour coller au désir du compositeur et surmonter les difficultés techniques de l’écriture ».

Jeanne a rejoint l’Ensemble en septembre 2024 et reste concentrée, comme une sportive de haut niveau. De Nevers où elle grandit, elle part étudier à Paris, Lyon, Leipzig puis Genève. À 24 ans, elle devient la première femme à intégrer le pupitre de cuivres de l’Orchestre de l’Opéra de Paris : « J’adore le lyrique ! Comme nous donnons plusieurs représentations, on finit par connaître l’œuvre par cœur, ce qui permet de nous perfectionner ». Ce soin et cette minutie, elle les retrouve au sein de l’Ensemble : « Se familiariser avec une partition d’aujourd’hui réclame du temps, mais ce qui est fou avec ce répertoire, c’est qu’ensuite tout coule de source ». Plus que jamais, la corniste relève de nouveaux défis : « J’ai toujours aimé la création contemporaine. À Lyon où j’étudiais, on jouait souvent des œuvres de l’ancien directeur du conservatoire Gilbert Amy. Je garde également un merveilleux souvenir de l’Académie du Festival de Lucerne. Inori de Stockhausen fut un immense choc pour moi ».

Intégrer l’Ensemble intercontemporain constituait une évidence. L’envie de participer à une musique d’aujourd’hui écrite par des compositeurs et compositrices actuels, collaborer et échanger avec ces derniers, d’enrichir son répertoire, développer sa technique instrumentale mais également le désir de travailler avec d’éminents collègues : « Le cor solo de l’ensemble, Jean-Christophe Vervoitte est une légende vivante du cor. Avec lui, tout semble si facile et vivant. C’est une chance inouïe que de côtoyer au quotidien de tels musiciens : l’ambiance à l’Ensemble est très familiale. Il n’y a pas de hiérarchie contrairement aux orchestres classiques et l’entraide est spontanée ».
Deux concerts marquent déjà la saison de Jeanne. En décembre dernier, le Grand Soir Edgard Varèse était une révélation : « Je connaissais bien sûr sa musique mais j’ai approfondi son œuvre en lisant sur lui. Varèse avait cinquante ans d’avance et réclamait des ordinateurs qui n’existaient pas à son époque. Jouer un large panorama de sa musique, des pièces de chambre à ses chefs d’œuvre pour orchestre, était extrêmement enrichissant ».
Le mois suivant, Répons de Boulez revêt la dimension d’un autre Everest :
« Quand j’ai vu la partition, j’ai ressenti de l’inquiétude. La pièce demande beaucoup de vélocité et de virtuosité et l’apprentissage de nouveaux codes musicaux. Mais le concert à la Philharmonie de Paris s’est révélé un moment exceptionnel ».


Ainsi va la soif d’apprendre de Jeanne Maugrenier. Toujours avide de découvertes, la jeune musicienne saisit chaque concert comme une opportunité de s’améliorer. Avancer, progresser, expérimenter : Jeanne trouve dans l’Ensemble intercontemporain de quoi assouvir toutes ses curiosités. On songe à son amour de l’escalade : trouver les meilleures prises pour avancer plus loin. Sans plan de carrière, Jeanne Maugrenier trace son chemin au fur et à mesure des rencontres. Elle n’a pas fini d’aller plus haut.


Et pour mieux  connaître Jeanne  : 

Deux livres de chevet ?

« J’adore lire ! J’ai souvent un livre sous la main et toujours énormément d’envies de lecture. Si je n’étais pas musicienne, je serais volontiers devenue libraire ou documentaliste dans une bibliothèque.»

Les Raisins de la colère de John Steinbeck
Un livre fondamental pour moi. Outre la dimension sociale, l’ouvrage évoque des thèmes très importants comme l’exode rural et l’industrialisation des campagnes. Mais ce qui m’impressionne le plus chez Steinbeck est sa capacité à brosser des personnages profonds et complexes. Jamais de manichéisme chez lui : son écriture montre ce qu’il y a de beau et de laid dans chacun. L’humanité de ce livre me bouleverse.


Les Furtifs d’Alain Damasio
Alain Damasio est un visionnaire. Certes, il brosse une image sombre et inquiétante du futur. Ses livres permettent de mieux comprendre les problématiques politiques et écologiques, mais j’apprécie également l’optimisme qui se dégage de ses textes. Dans Les Furtifs, par exemple, on sent la force du collectif et l’envie de construire en commun. Damasio nous met en garde des dangers mais délivre un message de fraternité.


Une adresse que vous aimez tout particulièrement à Paris ?
Chez Emma Duvéré, dans le onzième arrondissement. Une pâtisserie éco-responsable et salon de thé de quartier que j’apprécie beaucoup pour sa convivialité. L’endroit est tenu par deux femmes qui privilégient les produits sains et les circuits courts. La cuisine est simple et on s’y sent bien !


Photos (de haut en bas) : portrait © Franck Ferville / Jeanne Maugrenier puis Répons © Quentin Chevrier / Jeanne © Anne-Elise Grosbois / DR