Émergences à quatre voix
ÉclairageLe 23 janvier 2025, les solistes de l’Ensemble intercontemporain rejoindront ceux de l’Ensemble NEXT, au Conservatoire de Paris, pour interpréter quatre créations de jeunes compositeurs et compositrices d’horizons esthétiques et géographiques très variés. Inspirées des variations de la couleur noire, de divinités aztèques ou bien de l’idée de métamorphose, ces œuvres d’une dizaine de minutes permettront de découvrir quelques créateurs et créatrices de demain.
- Clément PAUVERT, Deux Roseaux – Miroir fumant, pour ensemble
Tezcatlipoca est une divinité majeure de la mythologie aztèque, qui représente entre autres la nuit et la providence. Son nom signifie littéralement « Miroir fumant », mais d’autres noms ont pu lui être donnés : « Deux roseaux », « Nuit, vent », « Seigneur du proche et du lointain », « Ennemi des deux côtés », « Celui par qui nous vivons ». Les Aztèques fondaient leur façon de penser le monde sur des oppositions fondamentales telles que la nuit et le jour, l’inframonde et le monde céleste, le brûlant et le glacé. Ainsi, le templo mayor, au centre de la ville de Tenochtitlan au Mexique, était un temple double : au sommet de la pyramide à degrés coexistaient deux sanctuaires, l’un dédié à Huitzilopochtli, le dieu guerrier du soleil, l’autre à Tlaloc, le dieu de l’eau et de la pluie, également associé à la mort. Il me semble que ma pièce se nourrit de cette idée d’antinomie et d’opposition.
Clément Pauvert se forme à la composition auprès de Jean-Luc Hervé au CRR de Boulogne- Billancourt. En 2021, il intègre le cursus de musicologie et d’analyse du Conservatoire de Paris auprès de Claude Ledoux. En 2023, il est admis dans la classe de composition de Frédéric Durieux et suit le cours des nouvelles technologies appliquées à la composition de Yan Maresz, Luis Naón et Grégoire Lorieux. Sa musique a été jouée par des ensembles tels que l’Itinéraire ou l’Ensemble Chromoson lors du Festival Crossroads de Salzbourg en 2022. Il a aussi bénéficié des conseils de compositeurs comme Jérôme Combier, Magnus Lindberg ou Ramon Lazkano. Son travail vise à interroger notamment la notion de temps – comment les différentes situations d’écoute et les figures musicales peuvent l’éprouver – tout en explorant un univers poétique fait d’évocations littéraires ou visuelles.
Découvrir Tordre la mémoire des murs (2023-24) :
- Bengisu ÖNDER, Pillars of Creation pour ensemble
Pillars of Creation a été conçu comme une expédition sonore, qui explore les thèmes de l’évolution et de la transformation. La pièce débute avec de puissants blocs sonores qui suggèrent des cris alarmants, évoluant progressivement vers des textures éthérées, jouées par les vents et les cordes, ponctuées de plus en plus de sursauts. Au fur et à mesure de la pièce, émerge une pulsation sourde, jusqu’à l’éruption percussive, véritable acmé de la pièce. De ce grondement sous-jacent apparaît une note solitaire à travers l’harmonique du piano, initiant un choral multiphonique porté par les vents. Cependant, quand la pièce touche à sa fin, les blocs sonores initiaux reviennent, comme transformés par le voyage qu’ils ont entrepris, portant les échos de tout ce qui est advenu. La partition s’achève par un son perçant similaire à un cri, marqueur de la conclusion. À travers son arc narratif dynamique, Pillars of Creation se veut une invitation à contempler l’interaction entre tumulte et sérénité, entre obscurité et lumière, laissant à l’auditeur une forte impression de métamorphose.
Bengisu Önder est une compositrice chypriote-turque, née dans une famille de musicien·nes, qui s’est très vite passionnée pour l’écriture. En 2018, elle intègre la classe de Marco Stroppa à la HMDK de Stuttgart en 2018, et rejoint en 2023 le Conservatoire de Paris où elle se perfectionne auprès de Frédéric Durieux (composition) et Yan Maresz et Luis Naon (nouvelles technologies). Ses oeuvres électroniques ont été jouées lors des ateliers annuels du Forum de l’Ircam à Paris, et elle a présenté plusieurs pièces de musique mixte au festival « ne(x)t generation » organisé par le Centre d’Art et des Médias (ZKM) à Karlsruhe. Reconnue pour son talent compositionnel en musique électronique, elle devient en 2021 tutrice pédagogique du studio de musique électronique à la HMDK Stuttgart, et compositrice académicienne avec l’Ensemble vocal de SWR pour leur saison de concerts. Elle donne sa première oeuvre pour quatuor à cordes dans le cadre de l’Académie du Quatuor Diotima à Metz et son oeuvre Scene 6 – The Return est présentée dans le cadre de l’opéra collaboratif Butterfly Room Service. En septembre 2024, elle participe à la Nouvelle Académie de Royaumont, où elle collabore avec l’Ensemble Linea sous la direction de Jean-Philippe Wurtz.
Découvrir Pillars of Creation (2024) :
- Félix ROTH, Torrent pour ensemble
quelque chose qui te secoue sans prévenir. un sentiment qui te renverse.
tout semblait calme, et là ça se bouscule. ça tourne, ça tremble. ça donne le vertige et c’est beau en même temps.
à la fin tu te demandes pourquoi. pourquoi ça secoue autant ?
les cloisons se sont envolées. et tu flottes. ce torrent qui te traverse encore. elle est là.
Compositeur et corniste, Félix Roth s’est initié à l’écriture au Conservatoire de Paris, avant d’intégrer la classe de composition de Jean-Luc Hervé au CRR de Boulogne-Billancourt. Il parfait ses études auprès de Frédéric Durieux au Conservatoire de Paris, ainsi que de Yan Maresz et Luis Naón pour les nouvelles technologies appliquées à la composition. Les phénomènes de perception sonore et l’exploration de nouveaux chemins harmoniques sont au cœur de son travail de composition. Ses premières œuvres ont été interprétées par l’Ensemble intercontemporain, l’Ensemble TM+ et l’ensemble NEXT.
Découvrir la barque – le ressac (2024) :
- Sophia CHAMBON, Noirs pour ensemble
I. pre
II. brillance + de 75 %
III. alius 1
IV. ater – mat – brillance 1-19 %
V. alius 2
VI. supernoir
VII. alius 3
VIII. noir saturé
IX. –post
Inspirée par les études des couleurs de l’historien Michel Pastoureau, je me suis lancée dans l’exploration de la couleur noire pour en donner ma propre interprétation musicale. Contrairement à la plupart des couleurs qui possèdent des teintes reconnaissables à l’œil nu et identifiées par le langage courant (par exemple, le rouge a ses teintes de vermeil, d’écarlate, le carmin…), le vocabulaire français est moins éloquent pour caractériser les différentes variations de noir, qui évolue pourtant selon son taux de brillance ou de saturation. Ma pièce Noirs est entrecoupée de miniatures très courtes, de quelques dizaines de secondes à peine, intitulées pre-, alius et -post qui permettent de reprendre souffle entre les différentes parties de noirs. La courte durée de ces expériences sonores ne leur permet pas de prendre couleur.
Les quatre autres miniatures, en revanche, décrive une teinte particulière de noir :
II. Associant la brillance à la résonance d’un son, brillance + de 75 % contient de nombreux sons brillants, d’attaques et de résonances.
IV. En latin, le noir avait deux dénominations : niger, qui désignait un beau noir brillant et positif, et ater, qui désignait un noir mat, éteint et triste. ater – mat – brillance 1-19 % évite ainsi les résonances qui auraient rappelé la brillance du son. Le son plane, ses contours sont effacés, cachés, modifiés et rendus silencieux.
VI. Le supernoir absorbe 99,5 % de la lumière lorsqu’il est présent dans la nature et jusqu’à 99,965 % de la lumière lorsqu’il est produit artificiellement. De ce fait, supernoir absorbe toute résonance et tous les sons, laissant seulement des sons étouffés.
VIII. noir saturé joue avec l’excès d’information sonore et de textures.
Sophia Chambon est une compositrice et pianiste française et finlandaise. En 2018, elle intègre la classe de composition de Juhani Nuorvala dans le département Junior de l’Académie Sibelius de l’Université des Arts d’Helsinki, où elle poursuit sa licence de composition avec Nuorvala, Raasakka et Länsiö. Elle entre au Conservatoire de Paris en 2023 dans la classe de Stefano Gervasoni, et suit également les cours de nouvelles technologies de Yan Maresz et Luis Naón. Sa musique a été interprétée lors de nombreux festivals comme Ung Nordisk Musik Festival en Suède (2024), Tampering, Uuden Musiikin Lokakuu et Musica Nova Helsinki. Elle a été jouée notamment par l’Ensemble Next, le Quartetto Prometeo, l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise, Tapiola Sinfonietta, l’Orchestre de la classe de direction de l’Académie Sibelius, l’Ensemble Kaaos, l’Ensemble Uusinta et l’Ensemble Zagros. Sophia Chambon est boursière de la fondation Martin Wegelius ainsi que de la fondation Sibelius pour son travail de composition. Elle reçoit des commandes de nombreux musicien·nes et ensembles finlandais depuis 2022. En plus de la composition, Sophia s’est spécialisée dans l’interprétation pianistique des Lied des XXe et XXIe siècles.
Découvrir Quintet in Homage to Mondrian And Escher (2022) :
Photos (de haut en bas) : Clément Pauvert © EIC / Bengisu Önder © Fondation Royaumont / Félix Roth © EIC / Sophia Chambon – DR
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