La démocratie en mouvement(s). Entretien avec Sasha Waltz, chorégraphe.
EntretienDu 17 au 19 juin, à la Philharmonie de Paris, la chorégraphe allemande Sasha Waltz nous livrera sa vision de l’œuvre culte de Terry Riley, In C, interprétée par les solistes de l’Ensemble intercontemporain. Une chorégraphie au diapason, aussi rigoureuse qu’aventureuse, offrant une importante liberté d’action aux interprètes, toutes et tous à égalité.
Sasha, quand avez-vous entendu In C pour la première fois et comment cette pièce a-t-elle résonné en vous ?
C’était au début de la pandémie, en 2020, au bord d’un lac, près de Berlin. Durant les confinements, mon mari, Jochen Sandig, et moi avons écouté beaucoup de musique. Ayant déjà entendu In C en concert auparavant, il m’a fait découvrir la pièce et j’ai été comme foudroyée. J’ai su immédiatement avec certitude que je voulais en faire quelque chose dans mon travail. Quand j’ai lu la partition, très attentivement, j’ai été encore plus subjuguée par son concept unique. Terry Riley a ouvert l’accès à un nouvel univers avec cette composition qui peut susciter une forme d’extase via la répétition.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans l’idée d’une création chorégraphique basée sur cette musique ?
Transcrire une partition musicale directement en danse m’intéressait et la structure d’In C permettait de combiner chorégraphie écrite et improvisation. La dimension « démocratique » de la partition m’intéressait aussi, elle laisse beaucoup de choix à la libre appréciation des interprètes. Au cours du deuxième confinement, les danseurs de ma compagnie et moi avions hâte de nous retrouver dans le studio, de créer, de partager des idées, de danser ensemble. Dès que nous en avons eu de nouveau la possibilité, nous avons commencé à travailler sur In C.
De quelle manière avez-vous effectué la traduction en langage chorégraphique ?
Me basant sur la partition de Terry Riley, j’ai tâché d’appliquer le même principe d’ouverture à la partition de danse. Écrite pour un nombre variable de danseurs, de tous horizons, elle consiste en 53 figures chorégraphiques pouvant être répétées autant de fois que l’on veut mais seulement dans l’ordre chronologique. On ne peut jamais revenir en arrière. Cela ouvre des possibilités infinies. La danse ajoute une dimension supplémentaire : l’espace. Les danseurs exécutent les 53 figures en suivant des lignes directrices qui leur indiquent comment composer ensemble dans l’espace sur le moment. Au fur et à mesure, nous avons ajouté des variations au vocabulaire de la pièce.
Quelle est la part de liberté dans l’interprétation de la danse ? Comment s’organise l’interaction entre les danseurs ?
Ma partition laisse une certaine liberté aux interprètes à l’intérieur d’une composition collective au cadre régulé. Mettant en jeu le fait de prendre part à un groupe en tant qu’individu, la pièce se focalise sur la dynamique de groupe plutôt que sur l’individu. Elle reflète la relation entre les décisions individuelles et les choix de l’ensemble. Il faut prendre des décisions à tout instant, sans jamais rien pouvoir planifier. Entre suivre, mener et ce qui se joue entre les deux, les rôles des interprètes évoluent constamment. Cela crée un réseau horizontal d’individus à responsabilité égale. Je vois In C comme une pièce très politique, pour le temps présent. Il y est question de soutien mutuel, de progression collective, de partage d’espace, d’attention à l’autre et à la communauté, sans laisser personne en arrière-plan. La plupart de ces idées constituent la base de la démocratie et correspondent à ce dont nous avons actuellement besoin dans nos sociétés. De plus, la pièce est ouverte à tous les styles de danse, toutes les cultures. Elle peut être dansée par des professionnels et des amateurs, de tous âges. Chaque représentation s’effectue avec un nombre et un ensemble différent de danseurs.
À la Philharmonie de Paris, la musique va être interprétée par l’Ensemble intercontemporain. Qu’attendez-vous de cette collaboration et comment le travail va-t-il se dérouler ?
Je suis le travail de l’Ensemble intercontemporain depuis des années. Ses membres ont beaucoup d’expérience et de savoir. J’ai déjà travaillé avec d’autres ensembles mais jamais encore avec l’Ensemble intercontemporain. Musique et danse s’entremêlent intimement dans la pièce. Les danseurs sont aussi musiciens, les musiciens font aussi partie de l’ensemble chorégraphique. Intégrer notre partition physique demande du temps. Habituellement, nous essayons de répéter avec les musiciens au moins deux jours avant la représentation. Je suis vraiment impatiente à l’idée de cette collaboration. D’une représentation à l’autre, la pièce n’est jamais la même et nous tirons à chaque fois de nouveaux enseignements, de la danse comme de la musique.
Photos (de haut en bas) : © Jens Kalaene/dpa-Zentralbild/ZB ; © Yanina Isla
Partager