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Un parcours musical à la Villa Savoye. Entretien avec Benny Sluchin, tromboniste.

Entretien Par Lou Madjar, le 27/08/2015

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Le 13 septembre prochain, les solistes de l’Ensemble vous invitent à parcourir en musique les espaces de la Villa Savoye construite par Le Corbusier de 1928 à 1931. Un concert/performance dans le cadre du Festival CORB, imaginé spécifiquement pour le lieu par le tromboniste Benny Sluchin, sur une proposition de Tristan Macé, directeur artistique de ce festival atypique. 
Benny Sluchin, en concevant ce programme, avez-vous tenté de trouver, dans les œuvres musicales, des reflets du geste architectural ? 
Je suis sûr que des liens existent entre les deux univers, architecture et musique, mais je ne les ai pas cherchés délibérément. Cela dit, le lieu a en partie déterminé le programme. La Villa Savoye présente en effet trois caractéristiques qui m’ont servi de contraintes dans l’élaboration du concert : sa période de construction (les années 1920) d’abord, le fait que la villa n’a pas de scène, ni aucun endroit où l’on peut grouper le public ensuite, et enfin une acoustique très singulière.  Deux pièces datent de la période de construction de la Villa : celles de George Antheil (Symphony for Five Instruments ) et de Paul Hindemith (Sonate op.25 n°1 pour alto).
De nationalité américaine, Antheil était à l’époque installé en France et c’est à Paris qu’il a composé cette Symphony for Five Instruments. Une pièce au demeurant assez classique, mais dont l’effectif assez inhabituel (quatre vents et un alto) a défini le choix des solistes de l’Ensemble qui joueront pour ce concert — et, par extension, les autres pièces du programme, puisque j’ai cherché des pièces solistes qui mettent les instruments en valeur.  La Symphony sera jouée au salon, dans une disposition normale (le public se répartira autour des musiciens, dans le patio ou dans le salon).
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Ensuite, j’ai voulu habiter la villa par la musique, pour inviter le public à circuler et à visiter les différentes parties du lieu. La suite du concert verra ainsi les solistes s’éparpiller dans la Villa. La pièce de Cage, Music for… Four est idéale pour cela puisqu’elle est écrite pour quatre musiciens disséminés dans divers endroits, et ne nécessite pas de jouer véritablement « ensemble ». Ils sont synchronisés par un chronomètre, mais doivent jouer en fonction de ce que John Cage appelle des « Time Brackets », des parenthèses de temps pour démarrer et finir un événement sonore à leur guise. La pièce se constitue de la superposition plus ou moins aléatoire de tous ces événements. Les quatre musiciens partiront d’un même lieu puis se sépareront pour s’installer à des endroits divers. Le public ne les verra pas tous, mais les entendra — car la Villa est très intéressante du point de vue acoustique.
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Justement, comme souvent chez Le Corbusier, c’est une architecture assez nue, avec beaucoup de béton : quel est le résultat acoustique ?
Voilà quelques années, j’ai mené dans la Villa des essais acoustiques dans le cadre d’un projet avec électronique. C’est assez résonant et il n’y a quasiment pas de murs de séparation ou de portes (ou alors elles sont ouvertes). Toutes les pièces communiquent et le son circule très facilement. C’est assez amusant : on peut être très éloigné de la source sonore et très bien l’entendre — même le son intimiste de l’alto dans la Sonate d’Hindemith. L’acoustique fait partie intégrante de la performance, et donnera à l’ensemble quelque chose d’un peu magique.
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 Vous dites performance… Cela relève-t-il en effet de la « performance » ?
C’est difficile à dire : c’est un concert conçu pour ce lieu. La Villa est un musée national, ouvert au public, qui organise des événements littéraires, musicaux, etc. Pour notre concert, le public sera debout, et pourra se déplacer, même pendant qu’on joue. Pour moi, c’est davantage une promenade avec une omniprésence de la musique.
Photos (de haut en bas) : (c) Aymeric Warmé-Janville / autres photos : DR