Now. Entretien avec Matthias Pintscher, compositeur et directeur musical de l’Ensemble intercontemporain
Entretien
Au cours de la « Journée pour Pierre Boulez » dans le cadre du Festival de Lucerne, le 23 août prochain, les solistes de l’Ensemble intercontemporain créeront une série d’œuvres commandées spécialement pour l’occasion, dont une pour piano seul de Matthias Pintscher : Now I. Le compositeur et directeur musical de l’Ensemble nous livre ses sources d’inspiration pour cette création, la première d’un nouveau cycle : Profiles of Light
Le titre Now I suggère qu’il s’agit du premier volet d’un cycle…
Un Now II est en effet prévu, suivi d’Uriel, du nom de l’archange qui, selon la tradition, apporte aux êtres humains les lumières de la connaissance divine. Le cycle dans son entier s’intitulera Profiles of Light.
Ces quatre titres sont empruntés à l’artiste américain Barnett Newman auquel le cycle rend ainsi hommage. Considéré, au même titre que Rothko, comme l’un des plus importants représentants de l’expressionnisme abstrait, c’est un artiste génial dont j’ai toujours été un grand admirateur. Ces quatre œuvres de Newman ne forment pas un cycle, mais peuvent être rapprochées par leurs lignes d’épaisseurs et de couleurs différentes. J’aurais pu lui emprunter d’autres titres – nombreuses sont les œuvres où il explore cette idée. Mais la palette de couleurs de cet ensemble faisait résonner quelque chose en moi, m’ouvrant tout un univers de sons. Newman était un de ces juifs polonais immigrés, qui portaient sur leurs épaules tous les maux de la terre, et c’est ce fardeau spirituel qui se dégage de son œuvre. Au reste, Newman, tout comme Rothko, s’est suicidé. Et j’ai été frappé d’une chose : plus il approche de la mort, plus son œuvre se fait lumineuse. Il a par exemple réalisé un Chemin de croix, que l’on peut voir à Washington : ce sont douze toiles blanches, sur lesquelles il a appliqué de la peinture blanche et noire, de manière très subtile et discrète. C’est très minimaliste, mais si émouvant. « Kadosh Kadosh Kadosh », comme on dit en hébreu – le terme signifiant « sacré ». Cette lumière m’a ébahi, et j’ai donc voulu penser à ce qu’elle peut signifier, ce qu’elle peut porter : comme le symbole d’un seuil, de la vie vers la mort.
Comment s’articulent les trois pièces du cycle Profiles of Light ?
Now I est une courte pièce pour piano seul. Elle ouvre le cycle, aussitôt suivie, attacca, par Now II de même durée, pour violoncelle seul. Puis violoncelle et piano sont réunis sans transition dans Uriel, qui figure l’élément central du triptyque et clôt le cycle. Tous les matériaux des deux premiers volets s’y retrouvent, étroitement mêlés – comme si les deux instruments avaient dans un premier temps exposé leurs langages propres, leurs corps et leurs résonances, pour s’unir dans le dernier mouvement. À la manière d’une réaction chimique, dès lors que les deux instruments sont en présence, ils se mettent à briller, à irradier et ouvrent l’espace.
Ce procédé rappelle celui auquel vous avez recours dans votre cycle Sonic Eclipse…
Exactement : on établit deux caractères différents et on les réunit. Mais le contexte est ici tout à fait différent : tout se passe pianissimo, dans une atmosphère presque silencieuse, mais avec une grande virtuosité, subtile, rapide, limpide, éthérée.
Now I sera créé au cours de la « Journée pour Pierre Boulez » au Festival de Lucerne. La pièce sera présentée aux côtés d’autres œuvres de compositeurs que Boulez a soutenus au cours des différentes éditions de l’académie.
Oui, et Now I lui rend hommage, de manière détournée… J’ai eu un jour une conversation avec Pierre au sujet de Barnett Newman : il m’a dit que son travail lui avait longtemps été inaccessible. Jeune homme, il n’arrivait pas à le voir et à comprendre son travail. Ce n’est qu’avec l’âge qu’il a appris à mieux l’appréhender. Je me souviens d’avoir trouvé cela curieux car sa musique me semble présenter bien des affinités avec l’œuvre de Newman.
Profiles of Light s’inscrit dans une longue série d’œuvres inspirées par les arts visuels…
Oui, cela devient presque une obsession, ces dernières années ! Je ressens une grande proximité entre l’art contemporain américain et ma musique. Toutefois, je m’aperçois que je fonctionne par périodes : quand j’avais 20 ans, j’étais plongé dans la littérature, et mes œuvres étaient habitées par Rimbaud ou Mallarmé… Puis ce furent la spiritualité et les textes sacrés qui m’inspirèrent. Cela étant, je pense être sur le point de tourner cette page des arts visuels. Sans rien renier de mes inspirations extramusicales, j’essaie aujourd’hui de me défaire de mes obsessions. Et peut-être parviendrai-je enfin à me contenter d’écrire de la musique ?
Photos, de haut en bas : (c) Matthias Baus / (c) Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain
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