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Comme une chanson d'amour. Entretien avec Peter Erskine.

Entretien Par Sebastien Lecordier, le 01/07/2015

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A partir du 4 juillet, Peter Erskine s’installe avec sa batterie dans la fosse de l’Opéra Bastille pour suivre, sur son moniteur, le ballet L’Anatomie de la sensation et rythmer la composition de Mark-Anthony Turnage, Blood on the Floor. Celui qui fut membre du groupe mythique Weather Report nous parle de cette œuvre singulière où se rencontrent jazz et musique contemporaine.
Vous avez joué de nombreuses fois Blood on the Floor dans des conditions de jeu différentes. Est-ce que votre jeu change selon que vous jouez cette œuvre en concert ou avec le ballet L’Anatomie de la sensation ?
Il est vrai que la synergie avec le ballet augmente la tension dynamique. Mais cela dépend aussi des lieux. Pour ma part je joue toujours le morceau dans la fosse avec l’orchestre et les autres solistes, le guitariste John Parricelli, le saxophoniste Martin Roberston, et mon ami bassiste, le Parisien Michel Benita. Je pense d’ailleurs que la combinaison musique et danse est magnifique. Unique. Et puis il faut rendre hommage à Peter Rundel, le chef d’orchestre, qui est le premier à avoir dirigé Blood on the Floor en 1996. Avec le temps cette œuvre est devenue une vieille amie et pourtant, chaque fois que je l’entends je perçois quelque chose de nouveau. Signe que c’est une pièce remarquable. Après chaque performance j’ai l’impression d’être une personne plus intelligente et meilleure car elle m’apprend à m’éloigner de ma propre personne. Je suis né pour jouer cette pièce ! Elle  appelle exactement toutes les compétence que je possède et exige de moi subtilité, confiance, calme, arrogance, reddition. En fin de compte, pour moi, Blood on the Floor ressemble à une chanson d’amour.

L’œuvre a été créée en 1996, à une période où la fusion entre musique écrite, jazz, et d’autres styles de musiques n’était pas évidente aux yeux du public et des musiciens. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le travail de Mark-Anthony Turnage ?
J’ai aimé la sophistication rythmique et la complexité harmonique. Avec Mark-Anthony Turnage, nous nous sommes rencontrés au Royaume-Uni au début de 1996 alors que j’étais en tournée avec l’Orchestre de Jazz Créatif dirigé par Michael Gibbs. Mark m’a montré ce qu’il avait écrit pour la partie batterie. Tout a été complètement noté. Je pouvais voir et reconnaître ce qu’il entendait à l’intérieur de sa tête. Mais la notation utilisée était contraire à l’intuition. Aussi lui ai-je demandé si je pouvais lui envoyer quelques grandes parties de tambour d’orchestre traditionnel. Il a accepté et les a étudiées pour ensuite m’envoyer une partition révisée où une grande part des sons du tambour serait laissée à mon libre choix. Et puis Mark et moi avons écouté beaucoup de choses similaires sur le plan musical, aussi bien Miles Davis, James Brown ou Igor Stravinsky. En fait, j’ai avec Mark-Anthony Turnage le même type de relation musicale que j’avais avec Jaco Pastorius (l’ex-bassiste de Weather Report).
Est-ce qu’il y a beaucoup de mouvements improvisés ?
Une grande partie de ce que je joue est improvisé. Mais tout ceci s’inscrit dans un cadre bien défini et très écrit. La totalité des rythmes est bien trop complexe pour être laissée au hasard. Surtout, il est nécessaire de pouvoir lire, et bien lire, la musique pour jouer ce morceau. Mon travail comme batteur est de fournir une base rythmique dans laquelle l’auditeur se sente bien et de donner aux autres musiciens de l’orchestre une manière de mieux jouer ensemble. Je donne le meilleur de moi-même pour apporter aussi de nombreux contrepoints : contrepoint rythmique, contrepoint de texture… J’aime penser à cela comme le « yin » et « yang ».
Photo DR