Entretien avec Sean Shepherd, compositeur
Entretien
Figure centrale de la nouvelle scène musicale new-yorkaise, Sean Shepherd est à l’affiche du concert « New York, New Works » le 21 avril prochain à la Philharmonie de Paris. Pour notre webmag il lève le voile sur sa création, un concerto pour ensemble commandé par l’Ensemble intercontemporain.
Vous connaissez bien Matthias Pintscher, le directeur musical de l’Ensemble. Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré?
J’ai rencontré Matthias à New York, peu de temps après son emménagement, en 2009. Nous avions tous deux une création prévue dans le cadre de la toute nouvelle série de concerts « CONTACT!, New Music Musique at the New York Philharmonic » (ses Songs from Solomon’s Garden et ma pièce These Particular Circumstances). Je connaissais et admirais déjà sa musique, et j’étais très heureux de faire enfin sa connaissance. Nous nous sommes très rapidement découverts de nombreux amis communs et, au fil du temps, notre relation est passée du professionnel à l’amical. C’est un artiste d’une grande générosité, qui ne songe qu’à aider ses plus jeunes collègues en glissant un mot à des diffuseurs ou en suscitant les opportunités. Je ne sais pas s’il serait d’accord, mais j’aime penser à lui comme à un grand frère. Son soutien m’est très cher (et je suis sûr que je ne suis pas le seul dans ce cas), car il est déjà passé par où je passe actuellement, et ses conseils me sont d’autant plus précieux que nous partageons beaucoup musicalement.
Je dois sans doute à Mathias ma sensibilité à la couleur — sa palette timbrale est hallucinante, et il la maîtrise à la perfection. Chaque son, aussi complexe ou discret soit-il, semble toujours être à sa place. J’aspire à cette forme de naturel. Nous partageons en outre notre amour de la musique française, de Lully jusqu’à aujourd’hui, et je pourrais presque me risquer à dire que c’est de cette connaissance du répertoire français que Matthias et moi tirons notre sens de la couleur.
Au cours de ce concert, vous partagerez l’affiche avec Aaron Copland : comment vous situez-vous aujourd’hui dans l’histoire de la musique américaine et plus largement sur la scène contemporaine états-unienne ?
Copland est l’un des premiers compositeurs que j’ai vraiment « connu », et probablement le premier que j’ai écouté consciemment. Sa musique évoque souvent de l’ouest américain, d’où je viens, et lui-même était originaire de Brooklyn, où j’habite aujourd’hui. Sa musique trouvait, et trouve encore aujourd’hui, un fort écho en moi (nombreux sont les compositeurs qui ont intégré puis quitté mon top ten depuis !). Je me souviens du jour de sa mort — j’avais 10 ou 11 ans — et je me souviens d’avoir été très triste, alors même que je commençais seulement à connaître son œuvre.
La scène contemporaine américaine est sans doute bien plus vaste qu’on ne l’imagine en Europe. Même du point de vue des esthétiques, elle se déploie de manière très fine et diverse. Si la variété est considérable, la fameuse bataille entre les minimalistes et les sérialistes n’a plus cours aujourd’hui. En conséquence, on ne distingue plus réellement d’écoles. L’expression « À New York, chaque individu est une île » résume assez bien la situation et les compositeurs de ma génération ont aujourd’hui une tendance assez saine au respect du travail des autres. De jeunes compositeurs collaborent au sein de groupe de rocks indépendant et font des tournées ensemble, et d’autres présentent leurs visions radicales dans le cadre de festivals européens, comme Donaueschingen et Huddersfield avant de les présenter à Manhattan ou Brooklyn. On compte de nombreux ensembles florissants, fondés à l’initiative quasi entrepreneuriale de compositeurs qui n’aiment pas dépendre des grandes institutions — ironiquement, se développe ces dernières années dans ces grandes institutions (Carnegie Hall, the New York Philharmonic, Chicago Symphony, Los Angeles Philharmonic) une curiosité vis-à-vis de la musique contemporaine qui n’existait pas auparavant. Difficile de cerner la place qu’on peut soi-même occuper sur une scène aussi riche que celle de New York, mais j’aime à penser que je me trouve un peu au milieu, mais avec une aspiration pour l’international.
J’ai le sentiment que ma musique sonne « américaine », de la même manière que celle de Copland — mais c’est plus facile à entendre qu’à dire ! Transparence et clarté me semblent des termes adaptés pour décrire certains aspects de ma musique, mais cela ne relève jamais d’une décision consciente au cours de la composition. Certains éléments sont si profondément enracinés en moi, que ce sont justement ceux-là que je combats, pour aller vers des terrains inconnus ou rafraichissants. Pour certains américains, mes sons sont trop complexes, et je suis persuadé que d’autres pensent le contraire. Et ça me va.
Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre nouveau Concerto pour ensemble : quelle était le projet au début de la composition ?
J’ai discuté de l’idée avec Hervé Boutry, le directeur général de l’Ensemble (auquel cette pièce est spécialement dédiée, ainsi qu’à Matthias et aux membres de l’Ensemble intercontemporain) dans les jours qui ont suivi la création de ma pièce Blur, la première que j’ai écrite pour l’Ensemble. La commande était pour une nouvelle partition plus vaste, et Hervé m’avait demandé si l’un ou l’autre des musiciens avaient plus particulièrement retenu mon attention, afin d’en faire le soliste d’une œuvre concertante. J’ai aussitôt pensé : « Oui ! Tous ! » J’avais eu tant de passionnantes discussions avec ces musiciens au cours des semaines que j’avais passées avec eux, que j’avais fait connaissance de ce groupe d’individus comme jamais auparavant. Ainsi est née l’idée de ce Concerto pour Ensemble, voilà trois ans.
Le principe de cette partition de 30 à 40 minutes est de mettre en lumière l’Ensemble de différentes manières. Découpée en plusieurs mouvements, chacun figurant une proposition abstraite, différents « tableaux » se succèdent mettant en scène différents groupes d’instruments. Cela va du tutti, où l’ensemble fonctionne comme un unique méta-instrument, jusqu’aux pupitres étendus, où un musicien ou une section s’avance au devant de la scène. Les mouvements (I, II, III, etc.) ne portent pas de titre descriptif, mais chacun est abordé du point de vue d’un personnage musical, aux caractères marqués. Cela dit, cette pièce suit aussi son propre cheminement, dans une succession de moments qui sont comme les briques élémentaires servant à bâtir une structure plus vaste. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une collection de vignettes : je soupçonne que, privé de la moindre partie ou section, l’histoire de ce concerto serait incomplète.
Cette création a reçu le soutien du French-American Fund for Contemporary Music (un programme de FACE avec le soutien des Services Culturels de l’Ambassade de France, de la Sacem, de l’Institut français, de la Florence Gould Foundation et de la Andrew W. Mellon Foundation).
Photos (dans l’ordre) : (c) Jamie Kingham / (c) Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain
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